Erin Tyson Poh, la représentante locale de la Northern California Media Workers, syndicat basé à San Francisco, revient sur la bataille des employés d’etown et explique pourquoi les syndicats peinent à s’implanter dans les jeunes pousses californiennes.
Erin Tyson Poh est la représentante locale de la Northern California Media Workers, un syndicat basé à San Francisco et affilié à la puissante organisation américaine des employés de la communication, la CWA (Communication Workers of America). À ce titre, elle suit de très près la bataille engagée par des employés d’etown en vue de constituer un syndicat. Elle revient, pour Transfert, sur les événements qui s’y sont déroulés : les pressions exercées par la direction, les employés virés. Une situation qui a entraîné le report des élections syndicales. La représentante syndicale livre également son point de vue sur les raisons de l’inexistence des syndicats dans l’univers des jeunes pousses californiennes.
Pourquoi avoir décidé de porter plainte contre etown.com et de repousser ainsi les élections syndicales prévues le 12 janvier ?
Selon nous, la compagnie etown a enfreint la loi en licenciant des salariés parce qu’ils ont choisi d’exercer leurs droits de constituer un syndicat sur leur lieu de travail. De plus, les dirigeants de l’entreprise ont annoncé qu’ils devraient probablement arrêter les activités de la société si les efforts de syndicalisation aboutissaient, parce qu’ils ont du mal à respecter les contrats à la lettre. Les dirigeants d’etown ont pratiqué depuis quelques semaines une propagande constante à destination des employés. Dans ces conditions, aucun employé n’aurait pu voter de manière équitable pour ou contre l’instauration d’un syndicat. D’autre part, nous avons encore des soutiens au sein du service client de l’entreprise. Nous souhaitons maintenir nos accusations afin de nous assurer qu’aucun employé ne subira de discriminations dans les mois à venir. Mais nous devrons désormais attendre six mois avant de déposer une nouvelle requête auprès du Bureau national des relations du travail en vue d’organiser de nouvelles élections.
Vous parlez de menaces, de pressions exercées à l’encontre des salariés afin de les décourager dans leur tentative de monter un syndicat. Pouvez-nous nous donner des exemples concrets ?
En octobre dernier, 20 employés sur 30 travaillant au service clients d’etown.com et ShopAudioVideo.com se sont fait porter pâle en raison de l’impossibilité d’entamer des négociations (NDLR : sur les salaires et les horaires) avec la direction. Après ce mouvement de protestation, deux des leaders de cette mobilisation ont été licenciés. En novembre, des tracts de soutien à la création d’un syndicat, ont circulé dans l’entreprise. Deux salariés de plus ont été virés. Le lundi 27 novembre, nous avons déposé une requête émanant du service clients d’etown.com et de ShopAudioVideo.com auprès du Bureau national des relations du travail, afin d’organiser des élections. Le vendredi 1er décembre, 15 employés de plus ont été licenciés. La compagnie a justifié cette décision par l’application d’un nouveau business plan. Nous avons dit que ce n’était qu’une attaque à peine voilée contre la volonté des employés de constituer un syndicat. À ces actions d’intimidations se sont ajoutées des réunions pendant lesquelles la direction prenait à part des groupes d’employés en leur expliquant combien les syndicats étaient affreux et qu’ils n’étaient pas nécessaires à l’entreprise.
Quel genre de travail effectuent les salariés du service clients ?
Leur travail est peu différent de ce qu’il était lorsque nous avons commencé à nous organiser. Plus de la moitié du service a été licencié ou renvoyé. Les employés informent les clients sur les produits, les conseillent sur l’achat d’un produit. Cela nécessite une grande connaissance des produits électroniques mais aussi un sens développé des relations humaines. Ils répondent également aux clients en ligne...
Votre syndicat a-t-il d’autres contacts pour implanter une section au sein d’une société internet à San Francisco ?
Nous avons eu plusieurs contacts avec des salariés d’autres dotcoms et nous poursuivons activement nos efforts de syndicalisation. Les pressions telles qu’elles existent chez etown se retrouvent dans d’autres sociétés internet. Il est donc important de préserver la confidentialité de nos actions. Je pense que nous pourrons en dire plus dans quelques mois.
Pourquoi est-il si difficile d’introduire un syndicat dans une start-up ?
Nous vivons une période qui n’est pas, de manière générale, propice à la syndicalisation. Et il est encore plus difficile de se syndiquer quand vous êtes le premier à le faire. De plus, il y avait ce sentiment présent chez les salariés des start-up qu’ils pouvaient s’enrichir grâce à une introduction en bourse. Ils commencent à réaliser que leurs problèmes ne peuvent se résoudre par une paye hypothétique, sous la forme de stock-options. Et tout spécialement s’ils changent souvent de travail...
Quelle est l’attitude des salariés des start-up face à la syndicalisation ?
Cela dépend. Je pense que le désir de se syndiquer dépend fortement des métiers et des catégories professionnelles. Les secteurs les plus traditionnels des start-ups comme les services clients ou les personnes travaillant dans les entrepôts sont les premiers à bouger. Peut-être parce qu’ils ont déjà vu ce qui a fonctionné pour eux dans le passé et qu’ils considèrent qu’un vrai contrat est plus important que des promesses. Cependant, je ne pense pas que les ingénieurs ou les développeurs soient si éloignés de ces points de vue. Même s’ils n’ont pas cette expérience avec les syndicats et la façon dont ils fonctionnent et qu’ils se considèrent peut-être comme une "race" à part, peu concernée par les effets du syndicalisme. Mais lorsqu’ils tenteront de résoudre les problèmes auxquels ils auront peut-être à faire face en tant qu’employés, ils trouveront finalement qu’un syndicat peut constituer une solution.
Comment tentez-vous de convaincre les salariés de se syndiquer ?
Par le biais de méthodes déjà éprouvées. Nous ne faisons rien de plus que ce que nous avons toujours fait. L’une des raisons de l’existence de l’hyper individualisation au travail a pour but d’éloigner les individus de toute forme de communauté. J’ai constaté que ce sont souvent des détails, comme le fait de rassembler les gens pour qu’ils connaissent mieux, qui permettra un jour d’aborder le sujet syndical. Les équipes dirigeantes le savent. C’est pourquoi ils nous rappellent sans cesse que ces personnes sont trop individualistes.