Un fonctionnaire ne peut utiliser sa messagerie professionnelle à des fins religieuses
Le Conseil d’Etat y voit un manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité
Le 15 octobre, une décision du Conseil d’Etat a confirmé la sanction disciplinaire prononcée en 1996 contre un fonctionnaire de l’Education nationale pour manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité. Il était reproché à cet ingénieur d’avoir utilisé son adresse mail à l’Ecole nationale supérieure des Arts et métiers pour des activités liées à son appartenance à la secte Moon.
J.-P. O. a subi une sanction disciplinaire : une suspension de fonction de trois mois, prononcée en 1996 . Aujourd’hui, il est encore informaticien dans un laboratoire de recherche de la vénérable école d’ingénieurs des Arts et Métiers. Il considère pourtant que sa carrière a été "enterrée" après sa mise à pied.
J.-P. O. est membre depuis 1973 du l’Association de l’Esprit saint pour l’unification du christianisme mondial. Plus connu sous le nom de "Secte Moon", du nom du Sud-Coréen Sun Myung Moon, ce mouvement religieux, très influent aux Etats-Unis où il possède le quotidien Washington Times, est connu pour son anti-communisme viscéral.
Sanction confirmée
Sur sa page personnelle hébergée sur le site du mouvement, ce fonctionnaire indique, en guise de contact, son adresse e-mail professionnelle à l’Ensam. Par ailleurs, J.-P. O. utilise ce même compte pour participer aux activités de la secte. Après la découverte de ces faits par la direction de l’école, cette adresse e-mail est supprimée. J.-P. O. tente alors de récupérer des messages le concernant en utilisant le compte mail (créé mais non activé) d’un directeur de département.
Cette affaire lui vaut d’être traduit en décembre 1996 devant le Conseil de discipline de l’Ensam qui prononce à son encontre une exclusion temporaire de fonctions de six mois (sans salaire), assortie d’un sursis partiel de trois mois. Une sanction officialisée par un arrêté ministériel daté du 23 décembre 1996.
En juin 1999, le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de J.-P. O. qui voulait faire annuler l’arrêté. Un jugement confirmé le 24 janvier 2002 par la Cour administrative de Paris.
Dans sa décision, la Cour administrative considère que "la mesure dont M. O. a été l’objet a été motivée non par ses opinions philosophiques et religieuses mais exclusivement par l’usage fait par l’intéressé de l’adresse électronique de l’ENSAM sur internet pour les besoins de l’Association pour l’unification du christianisme mondial". Cela constituait donc un "manquement au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité auxquels les fonctionnaires sont soumis".
Surtout, les magistrats ont rejeté l’argument de J.-P. O. selon lequel l’utilisation de son adresse professionnelle pour ses activités religieuses était couverte par le secret de la correspondance. Notamment parce qu’"il est constant que le serveur de l’Eglise de l’Unification sur lequel il a fait figurer son adresse électronique à l’ENSAM était destiné à la consultation du public".
Mail officieux, soutien officiel
Pour Benoit Tabaka, juriste au Forum des droits de l’internet, qui a commenté cette décision sur le site de la Revue électronique de l’actualité juridique française, la Cour d’appel a estimé "que la simple apparition du terme ’Ensam’ figurant dans le corps de l’adresse de courrier électronique porte atteinte à la totale neutralité que doit revêtir chaque service de l’Etat. En l’espèce, des internautes pouvaient estimer que l’Ecole nationale des arts et métiers apportait son soutien quasi-officiel aux actions ou aux buts fixés dans les statuts de l’association".
Saisi par J.-P. O., le Conseil d’Etat a repris dans sa décision du 15 octobre dernier la même argumentation et confirmé la validité de la sanction infligée à J.-P. O. Selon les magistrats, un agent public ne peut utiliser les moyens de communication de son service ni figurer sur le site d’un mouvement religieux en tant que membre, sans manquer au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité qui lui sont impartis.
Pas de cyberprosélytisme
Précisément, le Conseil d’Etat confirme que la sanction contre le fonctionnaire n’est pas liée au contenu des messages échangés ou reçus par celui-ci : "La cour administrative d’appel, contrairement aux allégations de l’intéressé, ne s’est fondée ni sur ce que celui-ci se serait livré à des actes de prosélytisme, ni sur la teneur des messages envoyés par lui."
Ce dernier point pourrait avoir de sérieuses conséquences pour tous les fonctionnaires impliqués dans une activité politique ou religieuse. "Dès lors que les propos ou le support peuvent porter atteinte à l’obligation de neutralité, la participation des agents publics à des listes de discussion, à des forums, à des sites Internet sera proscrite avec leur adresse de service public, notait en mai 2002 Benoit Tabaka. Une sanction pourrait être appliquée même si le message en lui-même ne porte pas atteinte à la neutralité du service public, mais est intégré dans un ensemble beaucoup plus large et beaucoup moins neutre."
De son côté, J.-P. O. juge toujours la sanction "démesurée" et estime que "(sa) carrière a été enterrée lorsque l’on a découvert qu’(il était) un dangereux mooniste". Le fonctionnaire de l’Education nationale dit aujourd’hui réfléchir au dépôt d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme.
La décision du Conseil d’Etat:
http://www.rajf.org/article.php3?id...
Le Forum des droits de l’internet:
http://www.foruminternet.org
Le site de la revue électronique de l’actualité juridique française:
http://www.rajf.org
Le commentaire de Benoit Tabaka sur la décision de la cour administrative d’appel:
http://www.rajf.org/breve.php3?id_b...