La commission européenne ne devrait pas tarder à déposer un projet de directive autorisant le dépôt de brevet sur les logiciels. Soutenus par des éditeurs, les partisans des logiciels libres crient au scandale et lancent une pétition.
Leur alliance se nomme Eurolinux. Ils viennent d’Allemagne, de France ou d’Italie, sont partisans des logiciels libres et n’ont qu’un seul but : empêcher la commission européenne de déposer son projet de directive sur la brevetabilité des logiciels. Bruxelles refuse pour l’instant de confirmer la date, mais les membres d’Eurolinux sont persuadés que ce projet (maintes fois annoncé et plusieurs fois reporté) va aboutir avant l’été. "Il est urgent de se mobiliser", estime Stéphane Fermigier, président de l’AFUL (Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) et membre d’Eurolinux. Le collectif a décidé de mettre en ligne une pétition contre le projet communautaire. Celle-ci est soutenue, pour l’instant, par une vingtaine d’éditeurs de logiciels, souvent libres, parmi lesquels Mandrakesoft en France, ou Suse en Allemagne.
Brevet ou droit d’auteur ?
Jusqu’à présent, en Europe (contrairement aux ...tats-Unis ou au Japon), les logiciels sont théoriquement exclus de la protection du brevet. Leur code est défendu par le droit d’auteur, de même que l’apparence graphique de leur interface. Ces deux éléments ne peuvent être reproduits sans autorisation de l’auteur et pendant toute la vie de celui-ci. Le brevet lui, a été créé pour garantir aux inventeurs la possibilité d’exploiter, pour une durée donnée, les procédés susceptibles d’une application industrielle qu’ils ont mise au point. A priori, les logiciels avaient été écartés de ce type de protection pour éviter que les raisonnements mathématiques puissent faire l’objet d’une appropriation.
Pourtant, des éditeurs ont cherché à bénéficier du brevet, pour tenter de barrer la route à des concurrents qui auraient copié les fonctionnalités de leur logiciel (voir interview de Jacques Delacour). Dans la pratique, ils y sont parvenus, puisque des dizaines de milliers de brevets sur des applications logicielles ont eu l’aval de l’Office européen des brevets (OEB), chargé de l’enregistrement. "C’est du laxisme !", dénoncent les opposants.
Assèchement de la concurrence
Les responsables communautaires, renforcés par une jurisprudence récente, estiment pour leur part que l’esprit du texte appliqué jusqu’à aujourd’hui "n’était pas d’exclure les brevets sur les logiciels lorsqu’ils apportaient quelque chose de nouveau" (lire les brevets en 6 questions). Appuyée sur cette interprétation, la Commission veut aujourd’hui faire coïncider plus clairement la théorie avec la pratique.
Pour les opposants rassemblés autour d’Eurolinux, ce renforcement de la propriété industrielle risque d’assécher la concurrence, de profiter avant tout aux grands groupes et ouvre une porte pour breveter n’importe quoi (lire les interviews de Jean-Paul Smets et de Philippe Quéau).
Précédent Amazon
Ces craintes se fondent aussi sur la situation aux ...tats-Unis où les empires du logiciel ont fait de la politique de brevets une véritable stratégie économique. Les choix très laxistes de l’office américain des brevets ont même fini par alimenter une polémique autour d’Amazon. Le libraire en ligne avait déposé "l’achat en un clic", un système de cookies permettant à l’acheteur de n’entrer qu’une seule fois ses coordonnées pour toutes ses visites sur le site.
La protection de cette méthode commerciale, déguisée en innovation technologique, a provoqué un tollé aux ...tats-Unis. Dans un communiqué particulièrement alambiqué, l’office américain des brevets a même dû reconnaître l’inefficacité de ses méthodes d’attribution des brevets.
En Europe, les opposants au projet de directive craignent que Bruxelles agisse sous la pression des ...tats-Unis. La Commission peu pressée jusqu’alors de s’exprimer sur le sujet, affirme désormais qu’"il n’est pas question de copier le modèle américain" et que les brevets du type Amazon ne pourront pas passer. À voir.