Des chercheurs américains portent plainte pour se libérer du carcan législatif en matière de protection des droits d’auteur. En point de mire, l’attitude du lobby de l’industrie musicale.
En avril dernier, la RIAA (Recording Industry Association of America), le puissant lobby américain de l’industrie musicale estimait que le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) rendait illégale la fourniture (ou la diffusion) d’une technologie permettant de passer outre les systèmes de contrôle que l’industrie du disque met en place afin de protéger les droits d’auteur. En effet, une équipe de chercheurs, menée par le professeur Felten de l’université de Princeton, avait souhaité révéler, au cours d’une conférence, comment elle avait réussi à "craquer" une technologie issue du SDMI, un consortium d’industriels comptant parmi ses membres France Télécom, Compaq, AOL, Warner ou Sony. Leur technique de marquage numérique, qui permet de contrôler l’écoute des fichiers musicaux, était alors présentée par l’industrie comme un produit miracle en matière de protection des droits d’auteur sur la Toile. En Septembre 2000, le SDMI lançait même un défi aux internautes du monde entier. À la clef, un prix de 10 000 dollars (plus 75 000 francs) par code "craqué" (il y en avait six), pour quiconque viendrait à bout du système de cryptage des fichiers musicaux... C’est ce qu’a réussi à faire l’équipe du professeur Felten. Mais sous la pression de la RIAA , brandissant la menace de porter l’affaire en justice en cas de passage à l’acte, le professeur Felten avait renoncé au dernier moment : aucune publication donc, ni même un début d’explications de la part des chercheurs sur la méthode utilisée ou le niveau de sécurité de la technologie de marquage numérique développée par le SDMI.
Deux Français ont craqué les codes
De leur côté, deux jeunes chercheurs français, Julien Stern et Julien Bœuf, réussissaient également à déjouer les algorithmes du SDMI. Plus bavards que les Américains, ils expliquent pourquoi et comment ils ont décidé de participer à ce concours sur leur site... Sans être inquiétés par la RIAA. Selon Edward Felten, “l’interprétation du Digital Millenium Copyright Act par la RIAA pourrait rendre, dans sa dimension la plus importante, le progrès scientifique illégal”. Pour venir à bout du statu quo qui leur est imposé, les chercheurs américains, soutenus par l’Electronic Frontier Founadation (EFF) - un lobby de défense de la liberté sur Internet - demandent à la justice fédérale de se prononcer sur la position adoptée par la RIAA à l’encontre des scientifiques. Principal argument avancé par les défenseurs de la liberté de publication (et de parole) : "Lorsque les scientifiques sont empêchés par l’intimidation de publier leur travail, cela remet en cause le premier amendement", explique, dans un communiqué de presse de l’EFF, Cindy Cohn, directrice juridique de l’organisation. Pour mémoire, ce texte constitutionnel est le garant de la liberté d’expression aux ...tats-Unis. Cindy Cohn dénonce notamment la nature liberticide de certaines dispositions de la législation américaine, censées protéger les droits d’auteur dans le monde numérique. En 1998, au moment du vote de la loi par le congrès américain (majoritairement démocrate), une partie de la communauté scientifique avait déjà sonné l’alarme et mis en garde les politiques américains contre les conséquences d’un tel cadre législatif pour la recherche scientifique. Peut-être auraient-ils du y prêter une oreille plus attentive...