Assailli par les menaces de procès, Edward Felten, l’homme qui avait cracké, par défi, quatre logiciels de cryptage lors d’un concours international, n’a pas osé dévoiler ses secrets.
"Je suis au regret de vous informer que nous ne présenterons pas nos recherches aujourd’hui." Le chercheur n’a pas parlé. Et pourtant, il était prévu qu’Edward Felten, professeur de sciences informatiques à l’université de Princeton, aux ...tats-Unis, dévoile ses secrets lors des quatrièmes journées de travail sur la dissimulation d’informations, qui se tenaient du 25 au 27 avril à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Mais sous la pression, le chercheur a dû reculer. Rappel : en septembre 2000, le SDMI (Secure Digital Music Initiative) avait lancé un concours consistant à cracker des méthodes de cryptage censées protéger les droits d’auteur d’œuvres. Les quatre algorithmes n’ont pas résisté à l’équipe de Edward Felten. Celui-ci proposait de révéler sa méthode de décryptage devant un large public. Mais la RIAA (Recording Industry Association of America) et la fondation SDMI ont menacé de poursuivre le chercheur s’il divulguait le résultat de ses recherches. "Un affrontement juridique serait coûteux et incertain, a déclaré en substance Edward Felten. Après réflexion, nous, les auteurs, avons pris la décision collective de ne pas nous exposer, pas plus que nos employeurs ou que les organisateurs de la conférence."
La palme du crackage
Est-ce à dire qu’on ne connaîtra jamais le fruit de leurs recherches ? Pas si sûr. Un service de mailing-list a été mis en place afin que chacun puisse prendre connaissance des techniques de décryptage lorsqu’elles seront rendues publiques. "Nous continuons à soutenir la liberté de parole et la valeur du débat scientifique dans notre pays et dans le monde, a poursuivi le chercheur. Nous pensons qu’il vaut mieux que les clients sachent la vérité sur les produits qu’on leur demande d’acheter. Nous continuerons à nous battre pour ces valeurs, et pour le droit de publier nos articles." En attendant, les méthodes de l’équipe Felten demeurent secrètes. Qu’importe que l’on connaisse ces méthodes ou pas, il suffit de savoir qu’elles existent. Deux vainqueurs se sont partagé la palme du "crackage". L’équipe de l’université de Princeton a relevé le défi presque par jeu. Deux français - Julien Stern et Julien Bœuf - sont eux aussi venus à bout du cryptage et ont publié le fruit de leurs recherches. Au lieu de brandir des procès à tour de bras, la RIAA et consorts devraient travailler sur un procédé inviolable. Ou bien admettre que la perle du cryptage n’existe pas. Et, le cas échéant, composer avec cette donnée.
Que le piratage continue !
Les équipes de la SDMI ont rapidement démenti avoir tenté de faire pression sur le plan juridique. Trop tard. On voit mal des chercheurs décider de ne pas publier leurs trouvailles et faire porter le chapeau à la SDMI... L’industrie musicale a encore perdu une occasion de réfléchir. Il est définitivement prouvé que son pseudo système de protection des droits d’auteur peut facilement être cassé. Bilan : dès qu’il entrera en production, des dizaines de méthodes pour casser le système vont circuler sur le Net. Le piratage va donc continuer. Le fait que l’ère numérique modifie profondément le business des éditeurs de musique devrait plutôt les inciter à imaginer de nouveaux modèles économiques. Au lieu de cela, ils essayent de pénaliser tout le monde et de protéger les œuvres avec des clefs inopérantes. Qui coûtent des millions de dollars à développer.