Poursuivi par un internaute qui s’estimait diffamé, Demon, l’un des premiers fournisseurs d’accès et hébergeur anglais, a préféré sortir son carnet de chèque que d’attendre l’issue du procès. Son crime ? Avoir refusé d’effacer un message d’un forum pourtant disponible... partout ailleurs.
L’histoire commence en janvier 1997, Laurence Godfrey, physicien anglais, intervient sur soc.culture.thai, un forum de discussion consacré à la culture thaïlandaise. Comme c’est souvent le cas sur les forums de discussion, les avis sont tranchés, le ton monte et quelqu’un poste un message "sordide, obscène et diffamatoire" en se faisant passer pour le scientifique. Furieux, celui-ci demande à Demon de le retirer de ses serveurs. Le provider, pour sa défense, rappelle qu’il est contraire au sens commun de rendre responsable le fournisseur d’accès des millions de messages qui transitent sur Internet et refuse donc de retirer le message, qui reste disponible le temps de mise à jour de ses archives, soit dix jours. On notera au passage que le forum est américain et que, même si Demon pouvait l’effacer de sa base de donnée, il était de toute façon disponible via n’importe quel autre fournisseur d’accès sur tous les serveurs de news du monde entier. Mais Godfrey porte plainte contre Demon. En juillet 1998, rebelote, un nouveau message "diffamatoire" est posté sur un forum de discussion. Même scénario, même résultat : Demon campe sur sa position, avançant que c’est "toute l’éthique de la liberté d’expression sur l’Internet" qui est en jeu, mais Godfrey porte à nouveau plainte.
Defamation Act
En mars 1999, le juge Justice Morland condamne Demon en première instance au nom du Defamation Act. Cette loi, votée en 1996 pour protéger les prestataires Internet, les dégage de toute responsabilité s’ils ne sont ni auteurs ni éditeurs du contenu en cause, s’ils ont accompli les diligences appropriées et s’ils n’avaient pas connaissance du contenu en cause. En l’occurrence, Demon connaissait l’existence de ces messages qu’il avait, de plus, refusé d’effacer... Puisque cela ne servait à rien. L’affaire devait passer devant la haute cour de justice de Londres la semaine prochaine, mais Demon a finalement préféré sortir son carnet de chèque plutôt que d’aller au terme du procès. La société vient de présenter ses excuses au plaignant tout en lui versant 15 000 £ de dommages et intérêts, plus les frais de justice - estimés à 230 000 £ pour le plaignant, soit près de 2,5 millions de francs...
Loi française encore plus floue
Alex Goodwin, de Demon, a déclaré à Transfert qu’il s’agissait surtout de trouver un accord satisfaisant pour les deux parties afin de se concentrer sur "the big issue", à savoir faire comprendre au gouvernement que les fournisseurs d’accès ne peuvent être tenus responsables du million de messages qui circulent quotidiennement sur plus de 35 000 forums différents. Le provider a ainsi décidé d’entrer dans une phase active de lobbying auprès de ses collègues britanniques. De fait, l’association anglaise des prestataires de service Internet s’inquiétait, jeudi 30 mars, des risques qu’une telle affaire faisait peser sur l’avenir de son secteur d’activité, tout comme sur la liberté d’expression : "les providers sont aujourd’hui obligés de se substituer aux juges et aux jurés" alors qu’au même moment "n’importe qui peut très facilement censurer une publication par simple plainte" auprès du provider. Sans parler de tous ceux qui risquent tout bonnement de stopper net leurs activités de peur de devoir faire face à de tels frais de justice.
De son côté, Jean-Christophe Le Toquin, de l’Association française des fournisseurs d’accès (AFA), est d’autant plus inquiet que la rédaction du récent amendement obligeant les prestataires à s’assurer de l’identité des internautes (Voir article de )transfert : La fin du Web anonyme) est encore plus floue que celle du Defamation Act anglais...
http://www.demon.net
http://www.demon.net
http://www.afa-france.com
http://www.afa-france.com
Voir aussi article de Transfert: La fin du Web anonyme
http://www.transfert.net/fr/dossier...