Un jeune homme poursuivi pour diffamation en ligne par un policier a écopé de 8 000 francs d’amende avec sursis. Une nouvelle application du principe de non prescription des délits sur le Net.
"Merci à l’inspecteur René P. pour sa totale débilité, ses supers fautes d’orthographe et sa bêtise." C’est en ces termes que Frédéric B. avait choisi de raconter sur Internet sa garde à vue dans un commissariat de la région parisienne [nous n’avons pas reproduit le nom du policier - NDLR]. Des mots qui ont fortement déplu à l’intéressé. L’inspecteur a porté plainte pour injures contre l’auteur du site, ainsi que pour diffamation. L’affaire passait début décembre devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris qui a rendu son jugement cette semaine. Employé de banque dans la banlieue Nord de Paris, Frédéric B. s’était fait interpeller un peu bêtement en mai dernier. Pénétrant dans un hangar désaffecté, il avait repéré des radiateurs électriques qu’il comptait récupérer. Les a-t-il volés ou étaient-ils "à l’abandon contre un mur", comme il l’affirme ? Nul ne le sait vraiment. Quoi qu’il en soit, une caméra de vidéosurveillance filme sa voiture, garée à l’extérieur. Repéré, il est intercepté et conduit au commissariat. Le propriétaire des locaux renoncera à le poursuivre.
...viter l’étouffement de l’affaire
Le jeune homme passe tout de même la nuit en garde à vue. Il décide alors d’écrire au procureur de la République et ouvre un site internet pour dénoncer les conditions de son interrogatoire. Il mentionne les injures dont il se dit victime : "Voleur, pd, salope". Séropositif, Frédéric B. reproche à l’inspecteur de l’avoir empêché de prendre son traitement contre le Sida. "Il m’a dit que je devais m’estimer content qu’il ne m’ait pas frappé", confie-t-il au juge lors de l’audience. Les cheveux noirs et la peau mate, le jeune homme est maigre. Fébrile, il bute sur les mots : "René P. s’est moqué de mon bégaiement en insinuant que j’avais pris de la drogue." Le jeune homme reproche encore des remarques déplacées au sujet des préservatifs qu’il avait dans la poche. "Pourquoi n’avez-vous pas saisi l’inspection de la police ?", interroge le président Jean-Yves Montfort. "J’ai essayé, mais je me suis dit que l’affaire n’était pas assez grosse, je voulais éviter qu’elle soit étouffée", répond-t-il. "Et pourquoi mentionner le nom ?", insiste le président. Frédéric B. affirme qu’il ne voulait pas s’en prendre à la police en général, mais à une personne en particulier. Et alerter l’opinion pour que ce genre d’affaire ne se reproduise pas.
Soutiens en ligne
Le jeune homme manque de preuves, le policier conteste les faits. "D’ailleurs, j’ai été entendu par l’IGS (inspection générale des services de du ministère de l’Intérieur)", se défend l’inspecteur, blouson en cuir sur le dos et quelques supporters dans la salle. "Monsieur B. ne m’a pas révélé qu’il était séropositif", affirme-t-il. Son avocat plaide les dures conditions de travail : les gardes à vues prolongées sont fréquentes le dimanche soir, en banlieue Nord, lorsque les effectifs sont réduits. Il s’attaque aux conséquences d’une publication diffamatoire sur un site et souligne les "réactions effarantes que peuvent susciter ce genre de site". En référence aux quelque centaines de courriers de soutien reçu par l’auteur du site. "Qui s’intéresse aux mœurs de la police française tombera aussitôt sur le nom de mon client en parcourant les moteurs de recherche", poursuit-il. L’avocat du prévenu, lui, espère faire jouer la prescription du délit : selon lui, le policier a porté plainte plus de trois mois après la mise en ligne. Las !, le président du tribunal, a déjà opté pour l’imprescriptibilité des délits de diffamation sur Internet dans le cadre de l’affaire Carl Lang/Réseau Voltaire. Le magistrat, selon toute prévision, ne s’est pas déjugé. Rejetant la prescription, le tribunal a condamné Fréderic B. au retrait du texte, à 8 000 francs d’amende avec sursis pour la diffamation, à 3 000 francs d’amende pour l’injure et à un franc de dommages et intérêts.