Le tribunal correctionnel de Paris a jugé, mercredi 6 décembre, que l’association Réseau Voltaire n’avait pas diffamé l’élu FN Karl Lang. Mais il a confirmé que la prescription ne s’applique pas au Net.
Raphaël et Thierry MeyssanEdgar Pansu |
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C’est le plus mauvais cas de figure qui pouvait se présenter : nous gagnons sur le fond et perdons sur la forme." Président de l’association Réseau Voltaire, Thierry Meyssan manifestait son désappointement à la sortie de l’audience. Mercredi 6 décembre, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris l’a relaxé du délit de diffamation à l’égard de Karl Lang. Elle a également rejeté les poursuites du secrétaire général du Front National contre Raphaël Meyssan, fils de Thierry et webmestre du site du Réseau Voltaire. Mais les juges ont refusé d’appliquer au texte incriminé le délai de prescription normalement valable pour un délit de presse. Le motif ? La publication sur Internet. Le tribunal confirme ainsi une jurisprudence qui frappe le Net de plein fouet (lire
Prescription et Internet à la barre).
Infraction successive
Les
réactions du Réseau Voltaire |
Thierry
Meyssan (président)
:
"Désormais, il n’y a plus de liberté d’expression au
sens habituel. C’est la fin d’une liberté vieille de plus de cent
ans. Il y a maintenant un déséquilibre entre la possibilité
d’attaquer des propos et celle de se défendre de ces attaques, puisqu’il
sera très difficile aux personnes poursuivies de prouver leur bonne
foi des années après l’infraction. (...) Nous allons
saisir les parlementaires. Les juges se sont prononcés par rapport
aux textes dont ils disposaient. Cela veut bien dire qu’il faut changer
la loi. (...)"
Raphaël Meyssan (webmestre) :
"Des associations ont inspiré cette décision par une
jurisprudence [celle de l’arrêt Costes, NDLR] obtenue au nom
de la lutte contre le racisme. Elles se sont trompées de combat puisque
le Net est un outil de mémoire et qu’il vient d’être condamné.
Désormais, tous les sites de presse vont devoir fermer." |
Conscient de l’enjeu du procès, le président de la 17e chambre, Jean-Yves Montfort, a tenu à détailler les motivations de son jugement :
En matière de mise à disposition au public, une infraction peut être permanente ou successive", énonce le magistrat. Dans le premier cas, "
l’infraction se perpétue par la force des choses", sans que l’auteur n’ait réellement les moyens d’agir. Mais elle est successive "
dès lors que la volonté de publication est réitérée et que l’auteur peut l’arrêter", poursuit Montfort. Et dans ce cas, "
le délai de prescription ne cesse que du jour où l’infraction a cessé". C’est ce type de qualification qu’il a choisi d’appliquer à la publication en ligne, à l’inverse d’une publication en librairie qui serait plutôt susceptible d’entraîner une infraction "
permanente". Cette décision précise l’analyse de la cour d’appel de Paris, qui avait évoqué une "
publication continue" dans l’affaire Costes (Lire
Le Net n’est pas un média comme les autres). La 17e chambre a par ailleurs rejeté l’argument du Réseau Voltaire pour qui l’archive en ligne était forcément prescrite puisque le texte avait déjà été publié sur papier. Le tribunal a estimé que sa mise en ligne constituait une "nouvelle édition" en raison du changement de support. "
Il n’y a pas d’élément de droit qui permette de juger à part les archives en ligne", a avancé le président Montfort.
Changer la loi
Quant au passage incriminé, tiré d’une notule biographique, il disait de Karl Lang que, "dévoué fanatiquement à Jean-Marie Le Pen, il était partisan de la solution armée au problème Mégret". Le tribunal correctionnel ne l’a pas jugé diffamatoire, dans la mesure où "il n’imputait pas des faits précis" mais faisait plutôt état d’une "prise de position dans un débat interne au Front National". Défenseur de Karl Lang, Jean-Pierre Claudon Wallerand de Saint Just ne savait pas à l’issue du jugement s’il ferait appel. Pour le Réseau Voltaire, cette décision sur le fond n’apporte que maigre satisfaction. L’association ne peut se résoudre à voir la liberté d’expression amoindrie sur le Net et contribuer malgré elle à renforcer une jurisprudence dangereuse pour les médias en ligne. En conséquence, Thierry Meyssan a décidé de faire appel de la décision et assure qu’il va demander aux parlementaires de "changer la loi". Quant au site de l’association, c’est décidé, il sera déménagé sur un serveur étranger.