Le Walker Art Center de Minneapolis a décidé début mai de sacrifier son département consacré à "l’art des nouveaux médias", une référence mondiale en la matière. Une décision qui suscite de nombreuses protestations et inquiétudes dans la communauté internationale du Net art.
Arguant d’importantes restrictions budgétaires, le Walker Art Center a procédé le 6 mai à sept licenciements. Cette histoire n’aurait été que celle d’un musée américain de plus subissant les conséquences d’une économie déprimée, si Steve Dietz ne se trouvait sur la liste des licenciés.
Entré au Walker au 1996, ce conservateur et commissaire d’exposition est en effet reconnu à l’échelle internationale comme un grand spécialiste de l’art des nouveaux médias, un vaste champ qui regroupe les oeuvres distribuées ou présentées au moyen de technologies numériques.
C’est en grande partie grâce à Steve Dietz que le musée de Minneapolis est devenu l’une des premières institutions au monde à accorder une place importante à cette forme d’art. Avec lui, le Walker Art Center a bâti sa réputation internationale dans le milieu en acquérant notamment la collection de Net art Digital Arts Study et en commissionnant une vingtaine d’oeuvres pour la galerie en ligne Gallery 9.
700 signataires
Dès que la nouvelle s’est répandue dans la communauté de l’art numérique, les réactions ont fusé de toutes parts. À la mi-mai, Sarah Cook, commissaire d’exposition indépendante et ancienne stagiaire au Walker Art Center, a rédigé une lettre de protestation à l’attention de la directrice du musée, diffusée sur une dizaine de forums en ligne.
En sept jours, Sarah Cook a recueilli 700 signatures auprès d’artistes, de commissaires et conservateurs de musées, d’enseignants et de critiques d’art de nombreux pays, de la Slovaquie à l’Australie.
Les signataires de la lettre reprochent au Walker de s’en prendre injustement à une forme d’art plus récente et donc moins bien établie que les autres.
"Imagine-t-on que le même musée, pour cause de restrictions budgétaires, sacrifie le département photo, ou peinture, ou sculpture ? Non, bien sûr !", s’indigne Annick Bureaud, une Française critique d’art des nouveaux médias et signataire de la lettre.
Département fantôme
Sarah Cook, qui mène la protestation, déplore que "ces suppressions de poste fassent du département des nouveaux médias du Walker un département sans commissaire ou conservateur". Autrement dit, un département fantôme. Car s’il reste aujourd’hui cinq employés dans la section, ceux-ci sont avant tout chargés de développer le site web du musée, et non de commissionner des oeuvres ou de concevoir des expositions.
Dans le milieu de l’art numérique, beaucoup redoutent également que la décision du Walker influence d’autres grands musées des États-Unis et d’Europe, ceux-là même qui avaient dans un premier temps suivi l’exemple du pionnier Walker, en ouvrant leurs portes à l’art des nouveaux médias.
Sur les forums de discussion, certains croient déjà déceler un désengagement d’autres musées américains et citent à l’appui le départ récent du conservateur de l’art des nouveaux médias du Musée d’art moderne de San Francisco, Benjamin Weil, qui n’a pour l’instant pas été remplacé. Les protestataires rappellent aussi que Jon Ippolito, son homologue du préstigieux musée Guggenheim de New York, a été récemment passé à mi-temps.
Reculer pour mieux sauter
Que les autres musées suivent ou non l’exemple du Walker, "il est tout à fait regrettable que cette forme d’art émergente soit privée de l’une de ses plus grandes institutions, note Christiane Paul, conservatrice adjointe chargée des nouveaux médias au musée Whitney de New York. Le manque d’émulation entre institutions n’est pas sain."
Selon Christiane Paul, la décision du Walker Art Center n’est pas non plus très sensée d’un point de vue purement économique : "Les musées d’art contemporain doivent rendre compte de l’évolution des arts. Ils sont donc obligés de s’intéresser aux nouveaux médias, qui sont de plus en plus importants. S’ils ne le font pas maintenant, ils devront à l’avenir rattraper leur retard en dépensant des millions."
Dans l’immédiat se pose la question de la préservation des oeuvres commissionnées ou présentées par Steve Dietz. "L’une des fonctions d’un musée est d’assurer la longévité des oeuvres présentées, rappelle Sarah Cook, et de les rendre accessibles." Cette fonction est particulièrement importante dans le cas d’oeuvres dont la présentation même dépend de technologies qui risquent d’être rapidement dépassées.
"Moins ambitieux"
En réaction à la lettre-pétition, le Walker s’est engagé à "maintenir l’accès aux oeuvres de Gallery 9 et de la Study Collection", sans donner pour l’instant plus de précisions.
Le musée de Minneapolis affirme également "espérer coopérer avec Steve Dietz dans le cadre de projets indépendants".
Malgré les restrictions budgétaires, le musée compte comme prévu ouvrir en 2005 une nouvelle aile qui doublera presque sa surface d’exposition et dont le budget de construction s’élève à 90 millions de dollars. Trois espaces seront consacrés à des oeuvres numériques, dont le détail reste à définir. Le Walker reconnaît que ce programme est "moins ambitieux" que prévu mais affirme que son "engagement en faveur de l’art des nouveaux médias n’a pas faibli, mais que les ressources disponibles ne permettent pas de concrétiser cet engagement aussi rapidement que souhaité."
Dans la mesure où l’art des nouveaux médias n’est pas toujours bien accepté et pose des problèmes de présentation particuliers au sein des musées traditionnels, il serait justement très important, de l’avis de Christiane Paul, de disposer à ce stade d’un commissaire d’exposition spécialiste de l’art numérique.
Et pour rappeller les musées exposant en ligne à leurs nouveaux devoirs, Annick Bureaud conclut : "Internet est une communauté mondiale. Le Walker doit donc une explication non plus seulement à ses actionnaires et à son public local, mais à l’ensemble de la communauté mondiale."