Sommet mondial sur la société de l’information : les associations cherchent leur voix
A Paris, la société civile tente de concilier intérêt du public et propriété intellectuelle
Les réunions de préparation du Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI) se suivent et se ressemblent. Elles regroupent gouvernements, entreprises et représentants de la société civile. Samedi 11 octobre 2003, l’association I3C (Internet créatif, coopératif et citoyen) organisait à Paris, à la Maison des métallos, une journée de débats. Thème de la rencontre : "La propriété intellectuelle s’invite au Sommet Mondial de la Société de l’Information". Lors de cette journée, une centaine de personnes ont tenté de répondre à l’objectif fixé par I3C : "décloisonner" les différentes forces en présence et s’engager sur les droits de propriété intellectuelle, un thème qui n’est pas inscrit à l’ordre du jour du SMSI. Une réunion ordinaire, qui illustre parfaitement les difficultés qu’éprouvent les différentes parties en présence à s’entendre sur la définition des thèmes du sommet et sur les actions à mener.
L’objectif de la réunion du 11 octobre était clair : il s’agissait de parvenir à inscrire la propriété intellectuelle dans la liste des sujets qui seront négociés lors de la prochaine réunion du SMSI, qui se tiendra du 12 au 14 décembre à Genève. "Il n’était pas prévu que le Sommet traite de ces droits, considérés par les gouvernements comme relevant de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Ndlr) ou de l’OMC, explique Valérie Peugeot, une organisatrice de la journée, membre de Vecam, une association qui lutte pour la réduction de la fracture numérique. Nous souhaitons ajouter des amendements au texte préparatoire, discuté par les gouvernements et la société civile."
Les organisateurs de cette réunion ont bon espoir de parvenir à modifier le programme du SMSI. Même si certains de ses responsables, tels que Michel Peissik, l’ambassadeur de France auprès du SMSI, présent lors de la réunion de samedi, ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas allonger la liste des thèmes qui seront évoqués.
Positions de principe
Le programme du SMSI a pourtant déjà été modifié. Une réunion préparatoire a été ajoutée au programme, en novembre, pour trancher certains noeuds gordiens autour de la cybersécurité, des logiciels libres, des médias communautaires...
L’enjeu du SMSI parait primordial aux yeux de bon nombre de partisans de la démocratisation des nouvelles technologies. Car si aucun traité international ne sera signé à Genève, le SMSI adoptera des positions de principes déterminantes. Par ailleurs, des réunions privées, organisées dans le cadre du SMSI, ont d’ores et déjà permis à plusieurs pays de mener des négociations, dont certaines ont abouti. Ainsi, selon Michel Peissik, les Etats-Unis et la Russie se seraient mis d’accord autour de la question de la cybersécurité...
Inquiets face au peu de place accordé à la société civile lors du SMSI , des "médiactivistes" (dont les membres d’Indymedia), des militants de No Border ou des collectifs de personnes en situation de précarité et d’intermittents ont prévu d’organiser un sommet parallèle, Geneva03. Leur mot d’ordre : "We seize it !" (en français "Nous nous en saisissons")
Le lobbying remplace la manif
Aux yeux des participants de la réunion parisienne de samedi, il faut se montrer actif non seulement dans la rue, mais aussi sous les dorures, dans les palais où se prennent les décisions. Le geste politique de référence est désormais le lobbying. Une méthode qui vient de faire ses preuves, puisqu’elle a permis de faire amender, au Parlement européen, la directive sur les brevets logiciels. "Nous devons sans cesse jouer sur trois tableaux : la pratique de terrain, le développement des réseaux et l’interpellation des politiques", explique Valérie Peugeot.
Et la bataille de la propriété intellectuelle n’est pas terminée : une directive sur la protection des droits de la propriété intellectuelle sera prochainement débattue au Parlement européen et la transposition d’une autre directive européenne sur les droits d’auteur est inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale française. " On doit aborder le problème de façon large, étudier tous ses aspects si on ne veut pas être piégés par les effets pervers de telle ou telle loi", estime Loïc Dachary, de la Free Software Foundation.
Lors du débat clôturant la journée de samedi, des représentants des partis politiques ont évoqué l’importance des expertises indépendantes sur des sujets aussi ardus. "Les amendements au projet de directive sur la propriété intellectuelle doivent être rapidement déposés au Parlement européen, s’alarme Laurence Vandewalle, assistante du groupe des Verts européens. A vous d’agir et de nous donner vos idées." Un représentant du Parti socialiste et un membre du Parti communiste participaient aussi à ce débat. Malgré les invitations lancées à bon nombre de ministres et de députés de la majorité, aucun n’était présent. Au grand dam des organisateurs. "Nous manquons de maillons entre les acteurs locaux et les politiques", notait Valérie Peugeot, de Vecam.
Autre point abordé lors de cette journée : remettre au centre du jeu les droits du public face à la protection de la propriété intellectuelle. "Les droits des professionnels sont toujours les premiers à être pris en compte, constatait Philippe Chantepie, chargé de mission au Ministère de la Culture et de la communication. C’est pour cette raison que l’intérêt du public s’inscrit dans une logique asymétrique : en l’occurence, il ne s’exprime que par l’exception à un droit. La copie privée n’est pas un droit, mais une exception à un droit."
Pour l’historienne Anne Latournerie, l’intérêt actuel pour les questions de propriété intellectuelle fait écho aux débats animés sous... le Front Populaire, lors de la bataille sur le projet de loi du ministre de l’Education Jean Zay. Intitulé Loi sociale du travailleur intellectuel, son texte, finalement recalé, prévoyait une reconnaissance des droits du public. Le débat était vif et global puisqu’il évoquait autant les problèmes de censure que les prérogatives économiques ou la place des artistes dans la société. Il est vrai que la société connaissait alors aussi un boom de nouvelles technologies : le cinéma et la radio venait d’arriver.