Deux organismes liés à la droite américaine ont lancé en juin 2003 le site ngowatch.org. Objectif : fournir au public des informations sur les organisations non-gouvernementales (ONG) internationales, dont le pouvoir grandissant semble inquiéter les conservateurs. Si les promoteurs de NGOWatch se veulent impartiaux, les organisations ciblées dénoncent une opération de propagande.
"Les ONG ne sont plus simplement des observateurs accrédités auprès d’organisations internationales, elles sont de plus en plus des décideurs autonomes", explique, dans sa page de présentation, le site NGOWatch. Et de poursuivre :"Presque partout dans le monde, les ONG ne sont pas régulées, elles sont dispensées d’expliquer leurs dépenses, de déclarer leurs activités ou leurs sources de financement, voire même le nom de leurs responsables."
D’Amnesty à Greenpeace
Afin "d’éclairer et de responsabiliser [ce] monde bourgeonnant", NGOWatch entend "compiler, sans préjugés, des informations factuelles sur les organisations non-gouvernementales".
S’appuyant sur les déclarations fiscales que toute ONG implantée aux Etats-Unis doit remplir, le site présente ainsi près de 150 organisations : mission, campagnes, accréditation auprès de l’ONU, responsables, adresse, situation financière...
Parmi les 150 organisations visées dans la liste établie par NGOWatch, on trouve les principales ONG de défense des droits de l’homme, de l’environnement et des libertés individuelles : Greenpeace, Amnesty International, Médecins du Monde, le Comité international de la Croix Rouge, l’ONG de défense des libertés individuelles American Civil Liberties Union, l’association de consommateurs Consumers International...
Lancé le 11 juin à l’occasion d’un colloque intitulé "Le pouvoir grandissant d’une élite non élue", NGOWatch est le fruit des efforts conjoints de deux centres de recherche liés à la droite dure américaine :
l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI) et la Federalist Society for Law and Public Policy Studies.
Liberté, libéralisme, libertarisme
Fondé en 1943, l’AEI est un think tank, un cercle de réflexion et d’influence officiellement "dévoué à la préservation et au renforcement des fondements de la liberté". Ce lobby revendique des valeurs comme "étatisme limité, entreprise privée, les institutions culturelles et politiques vitales, diplomatie étrangère et politique de défense fortes".
Parmi sa cinquantaine de chercheurs et membres figurent Lynne Cheney, l’épouse de l’actuel vice-président américain Dick Cheney, Jeane Kirkpatrick, ambassadrice aux Nations-Unies du temps de Ronald Reagan, ou Richard Perle, l’un des plus fervents partisans de l’intervention américaine en Irak.
Contactés par Transfert, les responsables de l’AEI n’ont pas souhaité s’exprimer.
De son côté, la Federalist Society est un regroupement de juristes et d’avocats, soucieux de voir les écoles de droit et la profession juridique "fortement dominées par une idéologie progressiste orthodoxe plaidant pour une société centralisée et uniforme". Ses membres se définissent comme conservateurs ou "libertariens", un mouvement ultra-libéral d’essence américaine, rejetant tout interventionnisme de l’Etat.
"Défendre la souveraineté américaine"
"Nous nous inquiétons du rôle joué par des groupes défendant des intérêts particuliers dans l’élaboration de lois internationales qui, au bout du compte, influencent les décisions de la justice ou du gouvernement américains, explique Brian Hook, un des principaux conseillers de la Federalist Society pour NGOWatch. Cette action des ONG passe largement inaperçue. Avec ce site, nous entendons défendre la souveraineté américaine. L’AEI, de son côté, s’intéresse davantage à l’impact des ONG sur l’activité des grandes entreprises. Nous nous complétons donc très bien..."
Selon cet avocat, NGOWatch est mis à jour par une toute petite équipe (deux à trois personnes) grâce aux informations et données fournies par un réseau d’une cinquantaine de juristes et de chercheurs en politique.
S’il reconnaît que la liste des organisations disséquées sur NGOWatch penche largement à gauche, Brian Hook se défend d’une quelconque arrière-pensée partisane : "Nous nous contentons de présenter les organisations les plus importantes et les plus influentes", explique-t-il, un brin embarrassé.
Chrétiens de tous pays
La simple lecture de la fiche consacrée à certaines ONG nuance cependant cette déclaration d’impartialité.
Ainsi, le descriptif de la National Organization for Women (Now), une association féministe défendant le droit à l’avortement, met en lien deux articles du très chrétien magazine World : l’un accuse les membres de Now d’avoir menti dans leur déposition lors du procès de militants anti-avortement, l’autre moque la culture lesbienne de l’ONG.
L’association de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch se voit, elle, suspectée de sympathies pédophiles pour avoir mis en ligne une page d’aide aux étudiants victimes de discrimination homophobe. Selon NGOWatch, l’ONG, "dans un rapport promouvant la confusion sexuelle chez les étudiants, recommande des groupes en faveur du mariage homosexuel et qui ont été associés à la North American Man Boy Love Association", un groupe accusé d’encourager les abus sexuels sur les mineurs.
"Liste noire maccarthyste"
Les attaques lancées par NGOWatch ne restent pas sans réponse. Quelques jours après le lancement du site, Naomi Klein, l’auteur du fameux livre No Logo, ripostait dans une tribune : "Ce projet est une liste noire maccarthyste, qui raconte des histoires sur toutes les ONG qui osent s’opposer à l’administration Bush ou qui soutiennent des traités internationaux que la Maison Blanche refuse de signer."
"NGOWatch est vraiment une démarche hypocrite de dénigrement des ONG, confirme Nancy Hwa, de Greenpeace Etats-Unis. Ils tentent de tirer la sonnette d’alarme sur un sujet qui n’en vaut pas la peine. Les ONG sont plus transparentes que les multinationales. Et si l’on parlait du poids des grandes entreprises du secteur pétrolier ou du bois dans l’administration Bush ? Elles non plus ne sont ’pas élues’ par les citoyens..."
Pour Laura Miller, du Center for Media and Democracy, qui analyse les formes de propagande au sein du site collaboratif Disinfopedia, la question de la transparence ne devrait pas être évacuée par les ONG. "NGOWatch la détourne à des fins idéologiques, c’est une question légitime dont il faut discuter, estime cette éditrice associée. Les ONG doivent être transparentes sur leur financement et démocratiques dans leur fonctionnement. Bien sûr, NGOWatch n’est pas très constructif sur ces sujets."
Laura Miller préfère voir dans cette offensive de la droite américaine "une sorte de reconnaissance du travail des ONG" :
"Aujourd’hui, les ONG ont davantage de crédibilité que les grandes entreprises. Les gens croient davantage au discours d’Amnesty International qu’à celui de Coca-Cola. C’est bien ce qui gêne les instigateurs de NGOWatch..."