Du spam aux sites satiriques, du cybersquatting aux dons en ligne, les Anglais s’en donnent à cœur joie pour leur première e-campagne électorale. Pas toujours fair play.
Rions un peu. Le Premier ministre en piste pour les élections affiche un nez de trois pieds de long. Un site d’information spécialisé dans la chronique de la vie publique défend une forte conviction : "Serait-il possible qu’une élection se passe d’humour ?" Le tout se produit sur Internet, dans la langue de Shakespeare et parfois au canon. C’est la guerre électorale sur le Net et tous les coups sont permis.
Spam des conservateurs
La première passe d’armes de la e-campagne pour les élections générales qui doivent se tenir le 7 juin prochain en Grande-Bretagne a pourtant failli faire perdre aux British ce flegme que le monde entier leur envie. "La première e élection commence avec le spam" titrait ainsi le Times au début du mois de mai avec l’inimitable retenue qui a fait sa réputation. Dans l’article, que des horreurs ! On avait pris les Tories - les conservateurs qui essaient de piquer le job aux travaillistes du New labour de Tony Blair - la main dans le sac. Flagrant délit d’envoi de... 20 000 messages et de hackage d’électeurs. Quand les spammés ouvraient ce qu’ils pensaient être une simple e-carte, surprise, une image de Tony Blair déguisé en magicien clamant qu’il allait faire disparaître la Livre sterling, leur sautait au visage... " Avec les conservateurs, gardez la Livre", énonçait un texte associé. Pour se défendre, les Tories, la main sur le cœur, affirmèrent qu’ils avaient spammé à bon droit. Uniquement des gens qui avaient signé une pétition pour le maintien de la Livre. Ben voyons.
Echange de voix
Les mauvaises manières sur le Net politique ne sont cependant pas l’apanage des seuls conservateurs. Toujours en mai, les animateurs d’un site conservateur gallois ont eu, eux, la mauvaise surprise de découvrir que celui-ci avait été carrément détourné. Quand les internautes s’y connectaient, ils atterrissaient directement dans la boutique d’en face, celle des libéraux démocrates. Le site ePolitix qui s’est fait l’écho du détournement, cite la défense du hacker : s’il admet que le procédé est "inhabituel", il juge les Tories "consternants" , sans "aucune idée de la manière dont on fait campagne sur Internet". Sur le site aujourd’hui désactivé, on pouvait lire une harangue aux électeurs expliquant pourquoi les conservateurs ne méritaient pas leurs voix...
Plus innovante, la tactique des promesses de vote sur Internet menée par les adversaires des conservateurs sur des sites comme tacticalvoter.com, voteswap2001.org ou encore votedorset.net et stophague.com. ("Arrêtez Hague", le leader des conservateurs) fait un tabac. Travaillistes et libéraux y proposent aux internautes d’échanger leurs votes, voix contre voix, circonscription par circonscription, pour faire élire celui des leurs en position de gagner contre l’ennemi commun : les Tories.
Du côté des sites officiels des grands partis, on ne mégote pas non plus les efforts de communication. Les conservateurs ont été les premiers à proposer une version pour téléphones wap et PDA. Les deux partis font la manche en ligne, avec payements sécurisés, annoncent-ils. Mais seuls les travaillistes affichent les tarifs : 20 Livres pour une modeste affiche (environ 216 francs), 100 pour 5000 tracts, etc...
Fichage des sympathisants
Quant aux associations, elles sont elles aussi entrées dans la danse, à la mode du lobbying anglo-saxon. Toutes s’y sont mises, des défenderesses des droits de l’homme à celles qui portent la voix des écolos ou des retraités. Les écolos, outre le Green party, ont lancé, en collaboration avec le quotidien The Independent Voteenvironment.com. Un site présentant leurs thèmes de campagne concernant l’écologie, avec lettre-type à envoyer aux candidats. Amnesty international a mis en ligne une base de données des adresses et des biographies de tous les élus du royaume, afin que les électeurs leur fassent part de leurs préoccupations humanitaires. Age concern, un site de défense des personnes âgées, anime une opération "contactez votre député", avec, lui aussi, une proposition de courrier standard, dont l’accès est soumis à... un fichage préalable. Nom, email, âge, profession, etc. Impossible de ne pas répondre à ces questions si l’on veut voir la missive. Avec, tout de même, le choix laissé à l’internaute intéressé de dire s’il veut que l’on fasse circuler ses coordonnées ou pas vers les "compagnies commerciales associées" ou vers le réseau militant local. Cette campagne a été montée par Advocacy online, un petit business lancé il y a moins d’un an par Graham Covington, un entreprenant canadien, dont le credo s’énonce comme suit : "Des milliers de militants feront changer le visage du processus électoral à jamais !" But : fournir de la "technologie de campagnes" clés en main. Politique de protection des données personnelles : aléatoire. "Protéger votre vie privée est une priorité à advocacy online limited", peut-on lire sous la rubrique "politiques" du site. Un engagement tempéré quelques lignes plus loin : "Cependant, en utilisant ce site web, vous consentez à la collecte et à l’utilisation de toutes les informations que vous pourrez nous communiquer. Veuillez noter que l’information personnelle entrée sur ce site sera transférée hors de la zone géographique de l’Union européenne pour être traitée par Advocacy Online Limited et ses sociétés affiliées. En utilisant ce site, vous consentez à ce transfert."
Sites Canada Dry
One World, qui fédère des sites militants dans le monde entier propose, lui, sur sa page d’accueil britannique, une simulation de vote en ligne, vendue comme un acte fondateur de la démocratie : "Nous enverrons les résultats aux partis les plus importants pour que vous soyez sûrs que votre voix soit entendue haut et clair. Votre opinion compte et peut aboutir à une réelle différence. Noms et emails nécessaires : "Nous vous demandons vos coordonnées pour être en mesure de démonter aux partis politiques que ces voix sont celles de gens réels qui attendent que leurs politiques fassent plus pour les pauvres et les personnes vulnérables." Promesse : pas de communication de fichier aux partis. Sans plus.
Enfin, d’autres comportements limites font florès. Des petits malins mettent ainsi en ligne des sites Canada Dry, qu’ils cherchent parfois à revendre au plus offrant. Exemples : www.newlabour.co.uk ou www.tories.com. Sans oublier la palette des sites aux noms de leaders politiques qui n’en demandaient pas tant. Si le cœur vous en dit, margaretthatcher.co.uk, tonyblair.co.uk, williamhague.com seront à vous demain.