Amazon n’en finit pas de perdre de l’argent, mais continue de survivre. Entre de mauvais résultats et l’annonce d’un accord avec AOL, les analystes s’arrachent les cheveux.
Amazon n’en finit pas de surprendre et de faire tourner les sangs du marché. Icône, pionnier, star et totem de la nouvelle économie, le leader mondial de la vente en ligne vient d’aligner son 17ème trimestre déficitaire consécutif et reste pourtant une des seules grandes dotcoms de l’e-commerce encore en vie. Pour le deuxième trimestre 2001, le PDG Jeff Bezos a annoncé des pertes nettes moins importantes que prévu (168,3 millions de dollars contre 317 pour le même trimestre en 2000), mais une croissance du chiffre d’affaires (CA) en baisse (16 % de hausse du CA à 668 millions de dollars, contre 680 selon les prévisions).
Pire, les prévisions pour le reste de l’année ont été revues à la baisse : le chiffre d’affaires ne devrait finalement augmenter que de 10 à 15 %, bien moins que les 20 à 30 % annoncés en fin d’année et un recul spectaculaire, par rapport aux 68 % de hausse en 2000. Pour nuancer ces mauvaises nouvelles, Amazon a choisi de révéler, le même jour, un accord avec AOL renforçant la collaboration déjà existante entre les deux géants. AOL investit 100 millions de dollars en achat d’actions et utilisera, en contrepartie, les outils techniques d’Amazon pour sa propre boutique Shop@AOL. Amazon doit également, sur son site, jouer les rabatteurs pour le service de fournisseur d’accès du leader mondial AOL.
Fournisseurs nerveux
Si Amazon claironne toujours qu’il atteindra (enfin) le nirvana de l’équilibre financier à la fin de l’année, les analystes sont de plus en plus perplexes. Selon une logique décrite, tout d’abord, par l’analyste américain Ravi Suria, l’année dernière, il pourrait même se retrouver acculé au dépôt de bilan d’ici quelques mois. En effet, cet analyste prévoit que la rapide baisse des réserves de cash d’Amazon va rendre ses 10 000 fournisseurs de plus en plus nerveux et les pousser à demander des paiements anticipés ou réduire leurs volumes, ce qui ne fera qu’accélérer le processus. Ce genre d’alerte n’est pas la première du genre et Amazon vit une relation d’amour et de haine avec le marché depuis des années maintenant. Comme tous, Amazon a besoin d’un scénario plausible pour convaincre les faiseurs de pluie et de beau temps boursiers. À l’annonce de la réduction inattendue de ses pertes, en avril dernier, ceux-ci avaient été bien contents de souscrire à cette embellie et le titre avait bondi de 45 % en quelques jours.
Aujourd’hui, la baisse du chiffre d’affaires, dans le contexte d’effondrement de l’e-commerce, remet en cause cette stratégie de sauvetage par la croissance du CA : alors qu’ils étaient 20 millions à avoir acheté sur Amazon en 2000, celui-ci ne devrait servir qu’une dizaine de millions de clients cette année. Dans le détail, Amazon est face à un dilemne : les produits "historiques" (livres, vidéos, CD) sont devenus rentables, mais leur progression des ventes est très faible - seulement 2 %. À l’inverse, les ventes de matériel électronique, plus récentes, bondissent de 56 %, mais ce secteur est lourdement déficitaire. Enfin, faut-il le rappeler, Amazon n’a pu se développer exponentiellement pendant l’âge d’or des dotcoms qu’en accumulant une dette colossale de 2,7 milliards de dollars dont les intérêts grèvent toujours ses résultats.
Augmentation des réserves de cash
Pour sa défense, Amazon avance bien sûr les 100 millions de dollars "frais" qu’AOL lui amène. S’ils ne pèsent que 2,1 % dans le capital, ils augmentent d’environ 60 % les maigres réserves de cash. Pour ce qui est des résultats, Jeff Bezos, ancien homme de l’année de Time Magazine, assure avoir volontairement préféré le "bottom-line" au "top-line", comprenez la réduction des pertes plutôt la croissance du chiffre d’affaires. Le marché boursier, lui, a sanctionné ce revirement en ramenant le cours de l’action à 11,60 dollars, cet après-midi, soit plus de 30 % de baisse depuis la clôture de vendredi dernier. Après le marchand de jouets Etoys, le commerçant culturel Bol ou l’épicier Webvan, le marché ne peut se résoudre à voir mourir le "Wal-Mart d’Internet" et avec lui tous les espoirs d’avenir pour l’ecommerce. Le nom d’Amazon, cette marque inestimable, est peut-être la dernière chose qui sauvera l’entreprise pionnière, encore et toujours.