Présentée comme une "vitrine technologique" de la sécurité intérieure des Etats, le 13e salon Milipol, qui se tient jusqu’à demain vendredi au Bourget, a cette année mis en avant la biométrie et les "caméras numériques intelligentes". L’administration pénitentiaire contribue largement au boom du marché de la biométrie. Dans les allées du salon, certains professionnels expliquent que la plupart des demandes de leurs clients s’avérèrent illégales. Les quelque 65 millions d’euros investis jusqu’ici par les collectivités locales françaises en équipements de vidéosurveillance préfigurent un maillage sans précédent de l’espace urbain. En 10 ans, les nouvelles technologies de sécurité ont vu leur part de marché multipliée par deux. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires hexagonal de la surveillance électronique dépasse celui de la surveillance humaine.
Milipol, "Salon Mondial de la Sécurité Intérieure des Etats entièrement dédié aux technologies de la sécurité publique et de la lutte anti-criminelle", a été inauguré le mardi 18 novembre par Nicolas Sarkozy. Interviewé par la revue Cigles, le ministre de l’Intérieur, affiche ses intentions en matière de surveillance numérique. Il déclare vouloir "tester l’interopérabilité des grands fichiers de police scientifique et technique, avant de les généraliser. L’objectif est que les fichiers puissent tous être consultés grâce à un accès partagé".
Dans les travées du salon, on trouvait notamment de nombreux kits de détection de diverses substances prohibées, des détecteurs de produits chimiques et bactériologiques, ainsi que des logiciels et systèmes d’analyse d’empreintes digitales et autres identifiants biométriques.
90% des demandes en biométrie seraient illégales
La biométrie, qui consiste à identifier un individu à partir de ses caractéristiques physiques (empreintes digitales, iris, forme de la main ou du visage) est probablement l’un des secteurs d’activité, en matière de sécurité, les plus porteurs.
L’International Biometric Group estime ce marché à 930 millions de dollars pour 2003, contre 4 milliards prévus pour l’année 2007.
Un représentant de l’un des principaux acteurs industriels français de la biométrie confie que les neuf dixièmes des demandes des clients du secteur ne peuvent pas être mises à l’étude, parce qu’elles sont illégales...
La biométrie est bien la vedette du Milipol. En témoigne la présentation, sur le stand de l’administration pénitentiaire (AP), d’une "station de contrôle aux parloirs".
Ce système repose sur l’enregistrement d’une empreinte de la main, associée à une photographie de toute personne (détenue ou visiteur) se rendant au parloir.
A quelques pas l’une de l’autre, deux sociétés de biométrie, A7 Protection (dont le système était à l’honneur sur le stand de l’AP) et Zalix Biométrie proposaient un système similaire et avançaient le même argumentaire, quasiment au mot près.
En août 2002, un détenu avait réussi à s’échapper en se faisant remplacer par son jumeau lors d’une visite au parloir. Ce type d’évasion, assez peu fréquent, justifie le déploiement de la biométrie en milieu pénitentiaire.
Depuis juin dernier, un arrêté du ministère de la Justice autorise la généralisation dans les prisons d’un "système de reconnaissance biométrique de l’identité des détenus, couplé avec une carte d’identité infalsifiable".
Le prix de chaque station biométrique oscille entre 44 et 50 000 euros, soit un total de 9 millions euros environ lorsque les 187 établissements pénitentiaires français en seront dotés.
Interrogé par L’Express en novembre dernier, Patrick Louvounou, secrétaire général adjoint de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (Ufap), avançait pour sa part que "les évasions par substitution sont beaucoup moins fréquentes que celles par hélicoptère ou par explosif" et qu’il aurait mieux fallu "consacrer cet argent à construire des miradors ou à surélever les murs".
Bracelets électroniques : 9 évasions
L’Administration pénitentiaire présentait sur son stand les systèmes de brouillage destinés à lutter contre l’utilisation des téléphones portables dans les cellules. L’AP revenait également sur les placements sous surveillance électronique (PSE), autre symbole du recours accru aux nouvelles technologies en matière de surveillance.
Seuls les détenus n’ayant plus qu’un an de prison à purger, et qui font montre d’un solide projet de réinsertion, peuvent bénéficier du régime de liberté conditionnelle que permettent les fameux bracelets électroniques. Les PSE permettent de réduire le coût de chaque détenu à 22 euros par jour, contre une centaine pour ceux qui demeurent à l’intérieur en prison.
Depuis leur mise en place en février 2000, la justice a autorisé 1234 PSE. 233 sont aujourd’hui en cours. 13 prisons sont pour l’instant équipées des équipements adéquats. A ce jour, 74 détenus se sont vu retirer leur bracelet, faute d’avoir respecté les règles de la PSE. 9 se sont évadés, chiffre qualifié de "somme toute satisfaisant" par le représentant de l’AP au Milipol.
Les Londoniens photographiés 300 fois par jour
La vidéosurveillance dite "intelligente" était l’une des autres technologies phares du Milipol. Utilisée dans nombre de casinos et censée permettre de reconnaître et identifier les comportements suspects, ou encore les visages des criminels et terroristes, elle connaît son heure de gloire depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Bien que considérée comme inutilement coûteuse et inefficace cette technologie semble encore pleine d’avenir. Le dossier de presse du Milipol avance ainsi que le chiffre d’affaires annuel de la vidéosurveillance a augmenté de 125% depuis 1991. Rien qu’en 2001, les municipalités, aidées par l’Etat, les départements et les régions, ont investi 65 millions d’euros dans ces nouveaux dispositifs sécuritaires.
La France reste encore loin du Royaume-Uni, qui détiendrait un record mondial avec 2,5 millions de cameras de vidéosurveillance disséminées sur son territoire (contre "seulement" 2 millions aux Etats-Unis).
Rappelant qu’"un citoyen ordinaire qui se promène à Londres est photographié 300 fois par jour", le dossier de presse précise que, "le maillage des réseaux de surveillance vidéo permettrait de suivre à la trace une cible humaine dans tous ses mouvements" dès lors que seront généralisées les caméras numériques.
Manifestants présumés suspects
Plusieurs sociétés, présentes au salon, se sont engouffrées sur ce marché plein de promesses. La société française Blue Eye Vidéo, fondée en juin 2003, ambitionne de "devenir leader mondial de la détection automatique du comportement" grâce à une analyse vidéo "en temps réel".
La technologie de Blue Eye permettrait en théorie de repérer des comportements suspects à partir de modèles d’attitudes physiques particulières pré-saisies. Elle est directement issue de recherches menées par l’Institut national de recherche en informatique et automatisme, recherches qui avaient valu à l’Inria un Big Brother Awards en l’an 2000, pour avoir fait de tout citoyen lambda "un suspect en puissance".
Blue Eye s’enorgueillit de son succès médiatique en juin dernier, lorsque ses caméras dénombrèrent à leur insu des manifestants lors d’un défilé à Grenoble. Alors que la CGT avançait le chiffre de 60 à 80 000 manifestants, que les RG en disaient 14 000, Blue Eye en recensait 21 000. L’histoire ne dit qui, finalement, avait raison.
Un mois plus tard, la technologie de Blue Eye faisait partie des 88 projets primés par Claudie Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles technologies, dans le cadre du concours national 2003 d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes, financé par le ministère, l’Agence française de l’innovation (Anvar) et le Fonds social européen (FSE) ("le principal instrument financier permettant à l’Union de concrétiser les objectifs stratégiques de sa politique de l’emploi").
Les caméras de Blue Eye serviraient aussi bien à la détection de bagages abandonnés, à la surveillance des parkings, des feux tricolores, à la mesure de la vitesse des automobiles, la gestion du trafic routier, la détection automatique des accidents ou des comportements suspects des chalands traînant dans les magasins ou dans la rue.
"L’électronique a dépassé l’humain"
Avec les armes de poing, létales ou pas, les caméras de vidéosurveillance étaient le produit le visible du Milipol 2003. On en trouvait de toutes sortes : modèles assistés par ordinateur, caméras cachées dans des bijoux, des stylos ou des lunettes, endoscopes permettant de les glisser à travers un mur ou un trou d’une serrure, sans oublier d’innombrables modèles permettant de surveiller "quel que soit le lieu et la météo".
Le secteur des nouvelles technologies rassemblait plus de la moitié des exposants au salon Milipol. Autres secteurs en vogue au Milipol : la localisation et la surveillance des véhicules et des télécommunications (téléphone, satellites, mais aussi et surtout internet).
Le dossier de presse de Milipol avance que le marché de la sécurité, en progression de 10,9% depuis 2001, pèse aujourd’hui 6 milliards d’euros, et emploie 158 000 personnes qu’en France. 40 % des entreprises du secteur sont détenues par des multinationales étrangères. De très nombreuses PME françaises ont été rachetées dans la foulée des attentats du 11 septembre, qui a conféré à ce marché un dynamisme enviable.
Une comparaison du chiffre d’affaires de la sécurité entre 1991 et 2001 témoigne de l’essor des nouvelles technologies et du renseignement. Alors que les secteurs "électronique" et "conseil en sécurité, intelligence économique", ne pesaient, respectivement, que 926 et 66 millions d’euros en 1991, ils affichaient, en 2001, un chiffre d’affaires de 2081 et 111 millions d’euros.
Ces chiffres, établis par Le Nouvel économiste en mars 2003, montrent qu’en 1991, l’électronique représentait 23 % du marché, contre 37% pour le gardiennage et la protection rapprochée. La tendance s’est désormais inversée : "Avec 35 % de parts de marché, l’électronique a dépassé l’humain", qui ne représente plus que 31% du marché.