Une manne potentielle de près de 10 milliards d’euros attendue par l’industrie de la région Paca
Situé au bord de la Durance, à 40 km au nord d’Aix-en-Provence, le Centre de Cadarache a de bonnes chances d’accueillir le premier réacteur expérimental à fusion nucléaire mondial. Le 27 novembre prochain, le Conseil européen des ministres devrait désigner le candidat de l’Europe pour la mise en place du projet de recherche Iter (International thermonuclear experimental reactor). Cadarache est en concurrence avec Vandellòs, en Espagne. Le candidat désigné par l’Europe devrait être confronté en 2004 aux projets du Japon et du Canada (bien que ce dernier semble aujourd’hui hors course). Les élus des Bouches-du-Rhône attendent des retombées économiques importantes d’Iter, qui représente un budget total de plus de 9,4 milliards d’euros, étalé sur 30 ans et financé par une dizaine de grandes puissances industrielles, dont la France. Si Cadarache est choisi, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et plusieurs autres collectivités locales se sont déjà engagées à financer la moitié du chantier, dont le démarrage est prévu début 2005 et devrait durer 10 ans.
Le site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Cadarache est le centre de recherche et développement le plus important en France dans le domaine du nucléaire. Alimenté par une ligne haute tension de 400 kilovolts, Cadarache dispose de l’une des plus importantes installations mondiales d’expérimentation de la fusion à hydrogène, baptisée Tore Supra. Mais le premier secteur de recherche de Cadarache reste l’amélioration du rendement et du traitement des déchets des réacteurs à uranium actuels. En tout, 4300 personnes travaillent sur les 1600 hectares du site, dont 1200 chercheurs et ingénieurs. Le Département de la recherche sur la fusion contrôlée abrite quelque 150 chercheurs français et étrangers.
Tore Supra bénéficie du soutien et de la coopération du groupe français Areva, leader mondial de l’industrie électronucléaire. Bertrand Barré, directeur de la communication scientifique d’Areva et ancien directeur de recherche de la Cogema, affirme : "Les résultats des recherches sont suffisamment prometteurs. J’estime que nous pourrons compter sur les premiers réacteurs industriels à fusion d’ici 2050 au plus tard."
Marchandage
Cadarache est en concurrence avec un autre site européen : Vandellòs, situé à 140 km de Barcelone, en Catalogne. Moins important que Cadarache, son atout principal est d’ordre économique : les coûts de la vie et de la main d’oeuvre sont plus bas en Espagne qu’en France.
Le 27 novembre prochain, un Conseil des ministres des Etats membres de la Communauté européenne devra départager Cadarache et Vandellòs. Un choix important pour l’avenir de deux régions européennes (la région Paca et la Catalogne) où le développement de l’activité industrielle marque le pas depuis une décennie.
Le Conseil des ministres s’appuiera sur un rapport présenté par le commissaire européen à la Recherche, le Belge Philippe Busquin. D’après un fonctionnaire français participant aux négociations, "les enjeux économiques sont tels que la négociation entre Paris et Madrid est vraiment intense en ce moment." Ce membre du Commissariat à l’énergie atomique avance : "Je ne pense pas que Busquin jugera opportun de donner sa préférence à tel ou tel site. Ce serait inutile : les atouts des deux sites sont connus. Après, ce n’est qu’une histoire de marchandage international."
Le Royaume-Uni aurait pu également se porter candidat, puisqu’il accueille la plus importante installation expérimentale de fusion au monde, le Jet. Mais le choix de Londres pour recevoir Jet par le programme nucléaire européen était assorti d’une condition : que le pays ne soit pas candidat pour l’étape suivante, Iter. Chacun son tour.
Quelle rentabilité ?
Le projet Iter représentera une manne financière importante pour le pays qui l’accueillera. Le budget de construction du futur réacteur expérimental s’élève à 4,67 milliards d’euros. Le chantier, qui durera 10 ans, devrait générer une importante activité industrielle. Une usine d’hélium liquide devra notamment être construite. Elle alimentera l’aimant supraconducteur qui transmettra jusqu’à 400 mégaWatts d’électricité (la capacité de production d’un réacteur nucléaire à fission de petite taille) au futur réacteur expérimental.
Bertrand Barré, d’Areva, explique : "Les infrastructures de la fusion sont coûteuses et très lourdes à mettre en place. La technologie de ces nouveaux réacteurs sera bientôt au point, c’est presque certain. La seule vraie inconnue, c’est leur rentabilité économique future."
Une fois le réacteur expérimental construit (d’ici à 2015), son exploitation devrait durer deux décennies, avec à nouveau une enveloppe de quelque quatre milliards et demi d’euros, financé par les principaux Etats membres du programme Iter (Union européenne, Etats-Unis, Russie, Canada, Japon, Chine et Corée).
La France devrait fournir un dixième du budget total du programme : 900 millions d’euros sur quelque 9,2 milliards au total. Les collectivités locales (région et départements de Paca, communauté d’agglomération du Pays d’Aix) souhaitent apporter une participation financière dans le projet. Une enveloppe commune de 447 millions d’euros est d’ores et déjà prévue, soit la moitié de ce que la France pourrait apporter au projet si Cadarache est choisi.
Contre la pénurie de pétrole...
Stéphane Salord est l’un des élus locaux les plus impliqués dans la candidature de Cadarache pour Iter. L’adjoint à l’économie de la mairie UDF d’Aix-en-Provence souligne : "Autour de Cadarache, dans le Val-de-Durance, les communes ont perdu en vingt ans les 4/5e de leur industrie. Iter est une formidable opportunité de développement pour toute la région."
Iter pourrait également relancer le programme de recherche du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur la fusion. De l’aveu de son directeur, le budget du département de recherche sur la fusion contrôlée est en perte de vitesse. Jean Jacquinot déclare : "Même si nous faisons toujours partie des deux ou trois meilleurs centres d’expérimentation au monde, l’enveloppe que nous accorde l’Etat se limite aujourd’hui à 40 millions par an, alors qu’elle était de 60 millions d’euros il y a dix ans."
Le chantier d’Iter démarrera début 2005. Les premières centrales électriques à fusion ne sont pas attendues avant 2020-25. "Sauf, précise Jean Jacquinot, "si la crise de pénurie en hydrocarbures intervient plus tôt que prévu (les scenarii les plus pessimistes des géologues tablent sur une diminution des extractions de pétrole dès 2010, Ndlr). Dans ce cas, il faudra peut-être cravacher pour construire les premier réacteurs à fusion opérationnels dès la prochaine décennie." Si Iter vient à Cadarache, la région Paca deviendra le centre névralgique mondial du développement d’une énergie que de nombreux spécialistes pro-nucléaires jugent "cruciale" pour l’avenir des sociétés industrielles.