Echanges de bon procédés entre le "père de l’internet" et l’un des principaux "ennemis de l’internet"
Fin octobre, le président tunisien Ben Ali et Vinton Cerf, président de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), se sont mutuellement décerné médailles et distinctions honorifiques lors d’une réunion à Carthage de l’organisme gérant l’attribution des noms de domaine. En juin 2003, Vinton Cerf, surnommé le "père de l’internet", préfaçait pourtant le rapport de l’ONG Reporters Sans Frontières consacré aux entraves à la liberté d’expression sur le Net. Un document qui place la Tunisie parmi les pays les plus répressifs en la matière. A cette occasion, un prix avait également été décerné à un cyberdissident tunisien, détenu depuis 2002 dans les geôles de Ben Ali. Interrogé par Transfert, Vinton Cerf estime que la Tunisie est aussi le pays de la région qui a le plus oeuvré en matière de développement économique et technique, et que cela ne peut, à terme, que contribuer à faire avancer les libertés.
Du 10 au 12 décembre 2003 se tiendra à Genève la première partie du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Un second rendez-vous est, lui, prévu du 16 au 18 novembre 2005 à Tunis.
Fin septembre, plusieurs ONG lançaient une pétition contre la tenue du SMSI en Tunisie (SMSI) à cause du climat de répression visant les internautes tunisiens et de la nomination d’un général soupçonné de torture à la tête du comité d’organisation du sommet.
Ceci n’a pas empêché l’Icann de tenir, en prévision du SMSI, une importante réunion à Carthage du 27 au 31 octobre, sous le patronage du régime tunisien.
A la Une du Temps le 1er novembre 2003
Le 1er novembre dernier, photo à l’appui, l’information fait la Une du Temps, quotidien francophone tunisien : "Le président Ben Ali reçoit l’emblème de l’Organisation mondiale de l’internet", des mains de Vinton Cerf. Considéré comme le "père de l’internet", celui-ci venait pour sa part de recevoir les insignes de grand officier de l’Ordre national du mérite tunisien.
Selon les médias proches du pouvoir de Tunis, la rencontre aurait été des plus cordiales. "Cette décoration constitue le plus grand honneur qui [m’]a été fait dans toute [ma] vie", aurait ainsi déclaré Vinton Cerf, selon La Presse, le premier quotidien de Tunisie, et l’agence Infotunisie.com. Dans leur compte rendu, ces mêmes médias insistaient sur le fait que Vinton Cerf aurait, en retour, exprimé son "admiration pour la haute maîtrise qu’a le Président Ben Ali des technologies de pointe".
"Les internautes sont investis de responsabilités importantes"
En juin 2003, Vinton Cerf avait pourtant préfacé le rapport Internet sous surveillance - Les entraves à la circulation de l’information sur le réseau de l’ONG Reporters sans frontières (RSF). On peut y lire de sa plume : "En ce XXIe siècle, ère de l’information, les internautes sont investis de responsabilités importantes. Ils doivent se préserver contre une censure abusive et lutter contre la désinformation. (...) La libre circulation de l’information a un prix et les internautes responsables le supporteront ensemble".
Le rapport de RSF rappelait pour sa part qu’"en Tunisie, le discours officiel prône le développement rapide et une démocratisation exemplaire d’Internet. Cependant, les services de sécurité opèrent une surveillance implacable du cyberespace. Censure des sites, interception des emails, contrôle des cybercafés, arrestations et condamnations arbitraires sont le lot quotidien des internautes. Arrêté en 2002, un cyberdissident a été condamné à deux ans de prison".
Celui-ci, Zouhair Yahyaoui, fondateur du webzine TUNeZINE, a reçu le premier Prix Cyberliberté décerné par RSF et Globenet. Torturé, condamné pour "propagation de fausses nouvelles et utilisation frauduleuse de lignes de connexion sur Internet" en juillet 2002, il a depuis entamé plusieurs grèves de la faim pour protester contre les conditions de sa détention et la dégradation de son état de santé, régulièrement dénoncées par nombre d’ONG.
Le web, espoir économique du pays
Interrogé par Transfert, Vinton Cerf déclare ne pas avoir été prévenu du fait qu’une médaille lui serait décerné, et qu’il ne pouvait insulter son hôte en la lui refusant. Avançant qu’aucune tentative de limiter ou restreindre l’accès l’internet n’a été observée par les participants à la réunion de l’Icann, il déclare ne pas être vraiment informé de la situation des libertés en Tunisie.
Il lui importe cela dit que l’internet soit rendu accessible à l’ensemble de la population, d’autant que "plus il se développe, plus les mesures répressives seront difficiles à mettre en application".
Vinton Cerf rappelle ainsi que "le régime tunisien a pris des mesures très importantes et pleines d’avenir en vue de mettre les technologies internet dans les mains des secteurs économiques gouvernementaux et éducatifs, et que l’accès à l’internet pour les familles, ainsi que le prix des ordinateurs, sont quant à eux subventionnés".
Le rapport de RSF reconnaissait lui-même que la Tunisie, bien que faisant partie des pays les plus répressifs envers le réseau, est aussi "le pays du Maghreb le plus avancé en matière d’expansion d’Internet. Une expansion qu’il faut imputer à la volonté politique du pouvoir d’encourager le Web, dans lequel il place beaucoup d’espoirs économiques".
Une destruction physique délibérée
Choquée par la rencontre de Vinton Cerf et de Ben Ali, ainsi que par leur échange de bons procédés, RSF a depuis exprimé son désaccord tant auprès du "père de l’internet" que de l’Icann. Le 6 novembre, l’ONG réclamait, à l’occasion du 16e anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, la libération de trois journalistes, dont Zouhair Yahyaoui.
La veille, son oncle adressait un "message urgent" concernant le harcèlement et les persécutions dont ferait l’objet son neveu. Lui-même opposant au régime de Ben Ali, Mokthar Yahyaoui avait été limogé de son poste de juge après la publication sur TuneZine de sa lettre ouverte dénonçant "l’absence d’indépendance de la justice tunisienne".
Zouhair, dans un état d’"extrême détresse", aurait récemment entamé une nouvelle grève de la faim. Faute de soins et de médicaments, Zouhair souffrirait d’un abcès généralisé et risquerait de devoir se faire retirer toute sa dentition. Pour sa famille, il ferait l’objet d’"une vengeance planifiée qui vise à le détruire physiquement".
Vinton Cerf, un nouveau président pour l’ICANN (Transfert.net)
http://www.transfert.net/a2596
Réunion de l’Icann à Carthage
http://www.icanncarthage.tn/indexfr.htm
Internet sous surveillance - Les entraves à la circulation de l’information sur le réseau
http://www.rsf.org/rubrique.php3?id...
Le cyberdissident tunisien Zouhair Yahyaoui lauréat du 1er Prix Cyberliberté Reporters s@ns frontières - Globenet 2003
http://www.rsf.org/article.php3?id_...
Internet sous surveillance - Tunisie (RSF)
http://www.rsf.org/article.php3?id_...
Message urgent sur le cas de Zouhair Yahyaoui
http://www.reveiltunisien.org/artic...
La Tunisie joue les hérauts du Net, mais emprisonne ses internautes
http://www.rsf.org/article.php3?id_...
Une pétition contre la tenue du Sommet de la société de l’information à Tunis (Transfert.net)
http://www.transfert.net/a9359
"Le général Habib Ammar est considéré comme le principal responsable de la torture en Tunisie dans les années 80" (Transfert.net)
http://www.transfert.net/a9281