Le Parlement européen a adopté mardi un mécanisme de surveillance des émissions de gaz à effet de serre, appareillage statistique indispensable à la mise en oeuvre du protocole de Kyoto sur la lutte contre le réchauffement climatique. Après le vote de la directive qui prévoit, pour début 2005, la mise en place d’un marché de droits d’émission de gaz à effet de serre (GES), l’Union européenne dispose désormais de tous les outils nécessaires pour permettre le respect de son engagement à réduire de 8% ses émissions de GES d’ici à 2008-2012, par rapport au niveau atteint en 1990. Le temps presse : les rejets de plusieurs Etats membres de l’Union, dont la France, sont pour l’instant au-dessus des objectifs prévus. Inquiètes, les principales associations de défense de l’environnement encouragent Bruxelles à accélérer le mouvement.
Margot Wallström, commissaire européenne à l’Environnement, s’est félicitée de l’adoption par le Parlement européen le 21 octobre 2003, d’un "accord de surveillance des émissions de gaz à effet de serre" qui permettra à l’Europe de "disposer d’un volume important de données (...) sur nos politiques en matière de changement climatique".
Retard à l’allumage
Pour l’eurodéputé italien Guido Sacconi, auteur d’un rapport sur la surveillance des émissions de GES, la plupart des Etats européens tardent trop à agir pour espérer respecter le protocole de Kyoto.
Selon les données publiées par l’ONU, en 2001, les émissions de l’Union européenne des six gaz jugés responsables du changement climatique ont été supérieures de 1% par rapport à l’an 2000. Pour l’instant, seuls trois pays européens sont engagés sur la voie d’une réduction sensible de leurs émissions de C02, le principal gaz à effet de serre : l’Allemagne (-15,5% en 2000 par rapport à 1990), le Royaume-Uni (-7%) et le Luxembourg (-56%).
Tous les autres pays membres de l’Europe ont vu leurs émissions de GES augmenter. L’UE est pourtant censée les réduire de 8% d’ici à 2012 au plus tard. La France, qui est censée stabiliser ses émissions, est pour l’instant légèrement hors de clous : +1% de CO2 en 2001 par rapport à 1990.
Dans les prochaines années, une croissance économique même modeste suffira à faire augmenter mécaniquement les émissions : un surcroît d’activité économique implique une augmentation de la consommation énergétique. Au ministère de l’Economie et des Finances, un expert explique : "L’objectif de stabilisation sera très difficile à tenir. Contrairement à l’Allemagne et au Royaume-Uni, qui remplacent leurs nombreuses centrales à charbon par des centrales fonctionnant au gaz naturel, la France, dont 90% de l’électricité provient du nucléaire, ou de l’hydro-électrique, très faiblement producteurs de CO2, ne dispose pas de ce levier simple pour réduire leurs émissions."
Deux points noirs : l’habitat et la route
Au niveau européen, deux secteurs tirent les émissions de GES à la hausse : les transports et le bâtiment. En France, par exemple, l’augmentation du trafic routier a provoqué une augmentation de 21% des émissions annuelles de CO2 dues aux transports entre 1990 et 2001. Pour le bâtiment, des systèmes de chauffage et d’isolation trop anciens ont largement contribué à la hausse de 17 % des émissions de CO2 pour l’ensemble du secteur du bâtiment français. Transports et bâtiment ont suffi à annuler l’effet d’une amélioration du rendement énergétique de l’industrie (-15% d’émissions annuelles de CO2 en France, toujours entre 1990 et 2001).
La porte-parole de la Mission interministérielle française de l’effet de serre (Mies), Marie Jaudet, reconnaît : "Dans l’hypothèse où aucune nouvelle mesure prévue par le Plan national de lutte contre le changement climatique (PLNCC) ne serait mise en oeuvre, nous serions partis pour une augmentation de nos émissions de GES de l’ordre de 10 % en 2008-2012 par rapport à 1990".
Pour l’instant, "seul un dixième du potentiel de réduction des émissions de GES prévu par le PLNCC est entré en application", dit Marie Jaudet. En particulier, l’annulation par le Conseil constitutionnel en décembre 2000 du dispositif d’écotaxe sur la consommation d’énergie a réduit de 40% ce potentiel, confirme la porte-parole de la Mies. Pour l’instant, aucun retour à un dispositif équivalent ne semble être envisagé par le gouvernement.
L’avenir de la politique de la France en matière de lutte contre le réchauffement du climat est maintenant suspendu au "Plan Climat 2003" que le gouvernement Raffarin a prévu de présenter le 27 novembre prochain.
Mesures insuffisantes
Le Réseau Action Climat France (Rac-f), qui réunit la plupart des principales associations de protection de l’environnement, s’attend à ce que ce Plan Climat soit trop limité, dans un contexte d’austérité budgétaire.
Pour l’une des principales responsables du Rac-f, Raphaelle Gauthier, "le gouvernement français tarde à donner des signes clairs de son engagement à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre." Elle explique : "A ce stade, le projet du Plan Climat 2003 prévoit des mesures intéressantes pour le traitement des déchets et institue des "PEL CO2" : des plans d’épargne logement aidés destinés à inciter à rénover des logements anciens pour une meilleure isolation et un meilleur rendement énergétique. C’est bien mais c’est trop peu."
La future loi budgétaire confirme pour l’instant la décision prise en 2002 de réduire d’un tiers les enveloppes attribuées à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et à l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat.
Pour Raphaelle Gauthier, le gouvernement délaisse de nombreux leviers qui pourrait accélérer la réduction des émissions de GES. "La nouvelle loi budgétaire réduit de 8,8% le budget du logement, les aides nationales aux transports propres restent très réduites, l’aménagement du territoire continue à donner la priorité à la route, le fret ferroviaire demeure sous-développé. Ajoutez à ça la mise au placard de l’écotaxe sur la consommation d’énergie et vous avez une idée du chemin qui reste à faire !"
Communiqué de la Commission européenne se félicitant de l’adoption de "l’accord de surveillance des émissions de gaz à effet de serre":
http://europa.eu.int/rapid/start/cgi/...
Le rapport de l’eurodéputé italien Guido Sacconi:
http://www2.europarl.eu.int/omk/...
Base de donnée mondiale sur les émissions de gaz à effet de serre (UNFCCC):
http://ghg.unfccc.int
Evolution des émissions de CO2 en France (Mission interministérielle de lutte contre l’effet de serre):
http://www.effet-de-serre.gouv.fr/m...
Evaluation du projet de Plan climat 2003 par le Réseau Action Climat:
http://www.rac-f.org/rubrique.php3?...