L’ex-gourou des Sex Pistols a rencontré les nouveaux punks : ils jouent sur Nintendo
Malcolm Mac Laren, l’ancien manager des Sex Pistols, revient et dit avoir déniché la tendance musicale de demain : la musique faite sur Game Boy. Cet Anglais traîne depuis plusieurs mois avec des musiciens d’un nouveau genre, qui tous détournent les sons de la célèbre console de jeux Nintendo pour en faire des morceaux électroniques. Encore inconnu, ce mouvement de house music bricolée au son "basse fidélité" a des apôtres en Suède, aux Etats-Unis, en Chine et même en France. A Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, l’ex-gourou de la mode punk a travaillé avec les fondateurs du label Relax Beat. Il va même sortir bientôt un album rassemblant ses propres oeuvres de "rock game boy" et de "blues électronique bâtard".
"Le son de la Game Boy, ce n’est pas de la musique ! Ça énerve... C’est ce que tout le monde se dit. Comme quand on a découvert le bruit d’une guitare punk ou les scratches de disques dans le Bronx des années 80..." Malcolm Mac Laren est heureux de souligner ce paradoxe, qui, selon lui, est un des signes d’une vague musicale intéressante. Le célèbre faiseur de tendances, vieil Anglais élégant, est venu donner vendredi 10 octobre, une conférence devant les élèves de l’Esmod, à l’invitation de son "ami" Castelbajac, fondateur de cette école de mode parisienne.
"Fuck Pro Tools"
Malcom Mac Laren dit avoir eu une révélation il y a quelques mois en lisant l’inscription "Fuck Pro Tools" sur le t-shirt d’un jeune Français. Un bras d’honneur au logiciel-roi de la musique électronique moderne qui pourrait servir de devise aux musiciens Game Boy. L’hiver dernier, cet "ex-fashion victim de l’informatique" a découvert un nouveau monde, celui des bricoleurs et bidouilleurs de l’électronique "low-fi" (pour low-fidelity, par opposition à "hi-fi", Ndlr).
Mac Laren a été surpris de rencontrer des jeunes adeptes du "reverse-engineering", qui s’amusent à démonter vieux ordinateurs et consoles d’un autre temps pour en faire un nouvel usage, détourné. Si cette pratique est courante dans le milieu des "hackers" informatiques, elle sert désormais à des musiciens qui s’emparent des machines "historiques" : Commodore 64 (8 bits), Amstrad CPC (8 bits), Atari (16 bits), Amiga (16 bits)... et Game Boy (8 bits).
La célèbre console Nintendo peut devenir une mini-station de production musicale, grâce à une cartouche appelée Little Sound Dj. Lancée en 2000 par Role Model, un jeune Suédois pionnier de la récupération de matériel à but musical, LSDj a été produite au Japon, à seulement quelques milliers d’exemplaires. Vendue en ligne pour 85 dollars, LSDj est en rupture de stock depuis longtemps. Sur son site, Role Model renvoie désormais vers No$gmb, un logiciel qui permet "d’émuler" tout modèle de Game Boy sur son PC. La version pour Mac OS X, le dernier environnement d’Apple, s’appelle KiGB.
Les morceaux que produisent Role Model et les autres musiciens Game Boy ont quelque chose d’énervant et de fascinant à la fois, comme la fameuse console de jeux, la plus répandue au monde. Les compositions sont assez chargées, avec des rythmes de house music assez classiques et plutôt dansants, quoique pauvres en basses. Par-dessus viennent planer des petites mélodies à tendance naïve qui rappellent les thèmes musicaux des jeux Nintendo. Par moments, on distingue nettement les petits "bleeps" et autres "bips" caractéristiques du son Game Boy.
"Le son est gravement sous-produit, mais volontairement", précise Malcolm Mac Laren, qui a personnellement produit plusieurs albums, dont "Paris", avec la voix de Catherine Deneuve, un coup symbolique de la lounge music du début des années 90.
Depuis cet hiver, le mentor des Sex Pistols est parti traquer les pionniers de la Game Boy music dans le monde. "L’inventeur" du punk raconte ses voyages à Stockholm, la ville de Role Model, à Chicago ou en Chine, où le groupe Wild Strawberries l’a enthousiasmé.
La BO d’un monde post-karaoke
Pour Mac Laren, la "chip music", musique de puces électroniques 8 bits, a de nombreux atouts : "Les outils ne valent rien. Les jeunes ont une technologie qu’ils peuvent contrôler. La création musicale est ludique et intègre l’univers du gaming, devenu crucial aujourd’hui." Les sons des années 80 et les consoles vintage sont aussi en phase avec une génération qui n’en finit pas de recycler l’univers de son enfance.
C’est à Paris, où il vit la moitié de son temps, que Malcolm Mac Laren est lui-même devenu un "chip musician". Celui qui vit principalement de la production de films a travaillé avec les trois fondateurs du label Relax Beat. Les pionniers français du genre ont installé leur studio bricolé de synthétiseurs analogiques et machines préhistoriques dans un immeuble perdu à Ivry, derrière le centre Chinagora. En novembre, le label sortira Boy Playground, une compilation rassemblant le gratin de la Game Boy music, dont Role Model et Teamtendo, un duo français qui donne des concerts déguisé en cougar et en marmotte.
Se considérant comme un "réalisateur sans caméra", Mac Laren a composé des morceaux entêtants, qui mélangent sons 8 bits et vieux "classiques". Pour choquer, il a mixé l’hymne national chinois avec un morceau de Kraftwerk, les "grands-parents de la chip music". Une autre série joue sur les mots de paroles connues : "I wanna be loved by you" et "I just wanna make love to you" se répondent en un duo virtuel et ambigu.
Malcolm Mac Laren dit vouloir sortir son album-concept par bouts, uniquement en 45 tours, car "à l’heure de la musique numérique, le vinyl représente, bien plus que le CD jetable, un objet qui a de la valeur". Comme beaucoup de musiciens électroniques, la scène chip music est effectivement férue de vinyls et fait même presser ses propres galettes, en Europe de l’Est.
"Dans un monde post-karaoke, tout le monde est à la recherche d’authenticité", déclare avec malice le faiseur du punk, pour qui l’époque actuelle est aussi dure que les années 70, voire même pire. "On s’ennuie et il manque quelque chose... Le sentiment d’être hors-la-loi. La chip music peut apporter cela."
En pratique, la Game Boy music est illégale car la cartouche LSDj a été développée sans l’accord de Nintendo, qui possède par ailleurs les droits sur les sons d’usine de sa console.
"Il y a déjà plein de styles différents de chip music..., explique Mac Laren, qui évoque successivement les néologismes "folktronic", "bastard blues", "rock n’roll Game Boy", "electropop pirate"... Mais le mouvement n’a encore aucun lien avec l’industrie musicale, qui est en déliquescence totale, à la recherche de l’authenticité qu’elle a perdue."
Malcolm Mac Laren, dénicheur et récupérateur de talent, se voit comme le "catalyste" d’un mouvement musical underground qui "va faire parler de lui dans l’année à venir". Comme le punk, la chip music, une fois sortie de l’ombre, ne sera plus tout à fait la même.