"L’industrie musicale telle que nous la connaissons se meurt. Profitons de l’occasion pour la changer" [Nicholas Reville]
Downhillbattle.org s’est fait connaître en parodiant férocement l’iTunes Music Store, le service payant de musique en ligne d’Apple. Sur ce site américain, les éditoriaux caustiques sur le monde de la musique, et notamment sur le monopole des majors de l’industrie du disque, se multiplient. Lorsque la RIAA, le syndicat des majors américaines, a souligné les dérives pornographiques des réseaux peer-to-peer, Downhillbattle a publié les paroles crues et violentes de certains groupes produits par Sony. Jeudi 25 septembre 2003, ses fondateurs ont lancé un fonds destiné à aider financièrement les familles poursuivies par la RIAA, qui doivent payer plusieurs milliers de dollars au terme d’arrangements à l’amiable. Utopistes, activistes, les membres de Downhillbattle entendent soulever la dimension politique du téléchargement et mettre à bas le modèle économique des majors. Nicholas Reville, un des créateurs du site, explique pourquoi et par quels moyens il compte parvenir à ce but.
Pourquoi avoir créé downhillbatlle.org ?
Nicholas Reville : Nous sommes un groupe d’amis, urbanistes, graphistes, musiciens... Avec Downhillbattle, nous comptons profiter d’une occasion qui nous est offerte. Les personnes qui veulent changer radicalement le marché de la musique, autrefois considérées comme d’inoffensifs rêveurs, sont aujourd’hui les plus réalistes. Il s’agit de saisir cette opportunité.
L’industrie musicale telle que nous la connaissons se meurt. Les groupes qui la contrôlent tentent de s’accrocher au modèle économique qui les fait vivre et prospérer, en poursuivant les fans et en faisant pression pour faire passer des lois réactionnaires. Si nous pouvons profiter de l’occasion qui nous est aujourd’hui donnée, nous pouvons changer le modèle économique qui régit cette industrie, en quelques années seulement. Si nous laissons du temps aux majors pour rasseoir leur monopole, nous pourrions juste manquer cette occasion.
Comment faire évoluer le débat sur le monopole des majors et l’échange de fichiers ?
En ayant recours à la politique, à l’activisme. Le mouvement de ras-le-bol envers les majors est aujourd’hui trop dispersé, volatile. Les artistes indépendants ont certes déjà exprimé leur mépris pour cette industrie, mais la plupart se sont résignés. Et le mouvement de révolte qui s’est créé sur internet n’a aucune portée politique. Les internautes se demandent pourquoi il n’est pas possible de télécharger, mais leur point de vue reste assez égoïste, ils n’engagent pas de réflexion sur un nouveau système économique. Ce que nous voulons faire, c’est rassembler ces énergies et révéler la dimension politique de ce fait établi : chaque jour, des millions de personnes téléchargent et partagent de la musique.
Vous vous êtes fait connaître en parodiant l’iTunes Music Store d’Apple, pourtant considéré comme un modèle dans le domaine du téléchargement payant...
Premier service payant de téléchargement viable, l’iTunes Music Store représente pour beaucoup "l’avenir de la musique". Or, il reproduit et entretient le modèle de domination des majors. Nous pensons qu’il est important que les gens comprennent que ce système n’est pas meilleur que celui qui le précédait. On peut certes y voir de belles opportunités pour les labels indépendants, mais iTunes sert pour l’instant de jolie façade à la machinerie "major". En créant downhillbatlle.org, nous ne visions pas Apple en particulier, nous travaillons tous sur Mac. Mais nous critiquons l’association d’Apple avec les majors, sous un maquillage inoffensif et sexy.
Le but de votre site est-il de promouvoir un nouveau logiciel de partage de fichiers ?
Pas exactement. Nous aimerions commencer par lancer des échanges entre musiciens et concepteurs de logiciels, pour réfléchir à de nouveaux logiciels de P2P qui prendraient en compte les demandes des uns et les compétences des autres. Nous avons en effet de bonnes idées concernant un système d’échange de fichiers qui conviendrait à tout le monde. Mais nous ne sommes pas programmeurs...
Pourquoi les systèmes de P2P actuels ne vous paraissent-ils pas satisfaisants ?
L’internet permet, comme aucun autre média, de mettre en contact les artistes et leurs fans. Mais le logiciel de partage le plus populaire reste aujourd’hui Kazaa qui, comme tous les programmes de P2P, considère les morceaux comme de vulgaires fichiers et évacue l’expérience musicale ou l’échange qui pourrait en naître. Le logiciel idéal permettrait selon nous de combler ces lacunes, en permettant par exemple la rétribution directe des artistes et la découverte de nouvelles musiques.
Votre campagne actuelle dépasse le cadre de l’internet. Pourquoi ?
Effectivement, nous distribuons des flyers, des autocollants, nous organisons des journées d’échange de CD, car nous considérons que notre campagne ne concerne pas les seuls internautes, mais tous ceux qui en contact, de façon directe ou indirecte, avec l’industrie du disque. Tout cela ne servirait à rien si nous ne sortions pas de la bulle internet.