De New York à Paris, les happenings subversifs des militants contre la vidéosurveillance
Sean, 27 ans, habite à New York depuis deux ans et y a découvert un petit groupe de militants original : the Surveillance Camera Players. Depuis 1996, ce collectif s’est rendu célèbre en jouant de petites saynètes de théâtre de rue, subversives et visuelles, face aux caméras de vidéosurveillance. De passage à Paris, Sean a croisé les militants du Réseau d’abolition des transports payants (RATP) qui menaient le 17 septembre une action contre le "flicage" dans les transports publics français. En spécialiste autodidacte, il dénonce la prolifération et le perfectionnement croissant de la vidéosurveillance, qui passe au sans fil et emprunte ses techniques au domaine militaire.

Sean prie devant une caméra de vidéosurveillance près de Boston, lors d’une "représentation" des Yeux de Dieu ici sur Terre (DR)
"Depuis le 11 septembre, c’est vraiment pire. Les attentats sont la cause ou plutôt le prétexte d’un recours croissant à la surveillance", dénonce Sean, qui a quitté Los Angeles pour s’installer à New York à l’époque où sont tombées les tours du World Trade Center. "En contrepartie, on sacrifie les libertés individuelles américaines et le droit à la vie privée", déplore le militant d’inspiration anarchiste, qui gagne sa vie en étant serveur.
Sean a découvert les Surveillance Camera Players en suivant l’une des visites guidées gratuites que donne le fondateur Bill Brown chaque dimanche, dans Manhattan. Après avoir repéré et cartographié les caméras de vidéosurveillance d’un quartier, les membres du collectif en font le thème de balades touristiques au succès croissant.
Aux visiteurs, les membres de Surveillance Camera Players expliquent leurs griefs vis-à-vis de la vidéosurveillance : elle est inefficace d’un point de vue sécuritaire. Les caméras ne sont pas signalées au public et n’ont pas d’effet dissuasif. Dans les enquêtes policières, elles ne donnent pas d’images assez précises pour constituer des preuves devant un tribunal.
"Au mieux, les caméras donnent de bonnes images des scènes de crimes, mais pas de leurs auteurs", ironise Sean, qui a vu les photos de l’assassin présumé d’Anna Lindh dans la presse française.
"Les yeux de Dieu ici sur Terre"
"Aux Etats-Unis, il est très difficile d’attirer l’attention sur une action politique. J’ai été séduit par l’approche des Surveillance Camera Players, qui utilise la performance artistique pour subvertir les caméras", explique Sean, qui porte un t-shirt barré par les lettres SCP. En avril, le jeune serveur a eu l’occasion de jouer dans une représentation des Yeux de Dieu ici sur Terre, une mini-saynète dans laquelle le militant des SCP montre une série de cartons ("Pourquoi y a t il des caméras de vidéosurveillance dans les églises ?" "Dieu ne voit-il pas tout ?", "Je veux que Dieu me voie"...) avant de se prosterner en prière devant la caméra.
Les Surveillance Camera Players ont écrit ou adapté une quinzaine de ces mini-pièces théâtrales et subversives, que militants et sympathisants jouent et rejouent, à New York et ailleurs, depuis que la renommée du collectif est devenue internationale.

Un militant de Surveillance Camera Players "joue" Amnesia devant une des 300 caméras de Times Square, à New York (DR)
Après avoir rendu des visites militantes en Autriche ou dans le Massachusetts, Sean est de passage à Paris pendant la "semaine européenne de la mobilité et du transport public" qui a lieu en ce moment. En réponse à cette démarche officielle parrainée par la Commission européenne, le Réseau d’abolition des transports payants (RATP) a organisé une série d’actions originales, notamment contre la "dérive sécuritaire" de la RATP.
Mercredi 17 septembre, une trentaine de militants, dont Sean, est descendue dans le métro pour réaliser un petit happening dont les aspects humoristiques et subversifs rappellent les méthodes des Camera Players : déguisés en "agents de vigilance", les membres du Ratp ont interpellé les voyageurs de la station Belleville en leur annonçant que le port "visible" du ticket était désormais obligatoire. L’action demandait la gratuité des transports et dénonçait la surveillance des 5000 caméras du métro parisien.
La vidéosurveillance est de plus en plus sophistiquée. "Les nouvelles caméras sont souvent des matériels développés à l’origine par les militaires, pour surveiller des checkpoints par exemple. Elles sont équipées de zooms optiques et numériques qui grossissent bien plus que des jumelles", explique Sean qui déplore que la frontière entre police et armée soit progressivement brouillée aux Etats-Unis.
Vidéosurveillance sans fil ou "intelligente"
"L’arrivée des caméras sans fil ouvre de nouveaux usages : le signal peut-être envoyé, par ondes radio et via satellite, vers plusieurs points dans la ville, un camion de policiers, un hélicoptère anti-émeutes... ", ajoute Sean. A Paris, le militant des SCP a vu une caméra sans fil, reconnaissable à un boîtier blanc sous l’appareil, qui transforme les images en signal radio. A Manhattan, le collectif n’en a repéré que cinq, pour l’instant.
La dernière tendance est au développement de la "vidéosurveillance intelligente", qui consiste à faire analyser les images en temps réel par un logiciel, pour y déceler des comportements "déviants". Aux Etats-Unis, le controversé projet de surveillance d’état Terrorism Information Program (ex Total Information Awareness Program) prévoit entre autres de faire analyser la démarche des citoyens dans la rue, grâce à des techniques mêlant vidéo, radars et biométrie, développées par le Pentagone, avec des universités.
Mercredi dernier, à Paris, les militants ont distribué des tracts dénonçant un système similaire, développé conjointement par la RATP et d’autres régies de transports européennes. Intitulé Prismatica, ce laboratoire a notamment pour but de permettre la "surveillance à distance" et la "détection automatique" de "situations menaçantes", grâce à des logiciels de "reconnaissance d’image".
Prismatica a valu à la RATP de recevoir le prix Orwell, catégorie Entreprises lors des Big Brother Awards France en 2001 (BBA).
Face à l’explosion de la vidéosurveillance et au perfectionnement croissant de ses techniques, Sean et les activistes de SCP savent qu’il n’y a pas de remède simple. "De par notre culture politique, nous n’avons pas l’intention de faire des pétitions pour demander au gouvernement de prendre des mesures, dit Sean. Nous obtenons beaucoup d’attention des médias, qui couvrent le sujet de façon inégale. Le vrai espoir pour nous, c’est le contact que nous nouons avec les gens dans les quartiers pendant les actions".
Avec l’appui de leur site internet, très visité, les Surveillance Camera Players misent sur un travail de sensibilisation de longue haleine pour faire reculer la surveillance. "C’est un vrai mouvement. Il faut lui donner le temps de grandir...", conclut Sean.