Une initiative internationale invite les gens à "libérer un livre" dans leur ville, en commémoration du 11 septembre 2001. Lancé il y a trois semaines par un groupe de petits éditeurs de poésie proches du scénariste-poète Alejandro Jodorowsky, cet appel à l’"attentat poétique" a bien circulé sur internet et suscite un engouement dans de nombreux pays. A Paris, les deux organisateurs bénévoles accueilleront les participants au cinéma L’Entrepôt (14e) pour une action qu’ils espèrent "unique".
"En ce matin du 11 septembre 2003, sortez dans la rue muni d’un livre important pour vous, un livre qui a changé votre regard sur le monde,
dédicacez-le (par un mot, une adresse ou un dessin...) et libérez-le !" Voilà les consignes que l’on peut lire sur le site de "l’attentat poétique", rudimentaire mais traduit en sept langues. A 14h46 heure française, les internautes sont invités à participer à l’opération, dans leur ville, "sur la voie publique, sur un banc, dans le métro ou dans un café..."
"Difficile de dire comment est née l’idée. En tout cas, elle vient à la fois de Belgique, d’Italie et de France", expose Emmanuel Lequeux, poète et petit éditeur qui, depuis Paris, organise l’action avec ses homologues David Gianoni de Bruxelles et Antonio Bertolli de Florence. Tous trois ont pour point commun d’être de petits éditeurs de poésie et d’avoir publié des textes d’Alejandro Jodorowsky, le scénariste-poète originaire du Chili et épris d’ésotérisme.
Vieille idée, nouveaux médias
"L’idée de libérer des livres, ou plutôt de s’en séparer, est vieille comme le monde. Mais les moyens sont nouveaux", se réjouit Emmanuel Lequeux. Lancée à partir d’un petit site, l’opération a connu un engouement croissant, à mesure que l’info était relayée par les webzines, la communauté des bloggers, qui éditent des sites personnels truffés de liens (Lire notre dossier), ou les réseaux militants, comme celui d’Attac.
Etats-Unis, Canada, Chili, Mexique, Brésil, Allemagne... Les uns après les autres, plusieurs pays et villes du monde entier ont annoncé qu’ils participeraient à l’attentat poétique. "C’est incroyable, on est repris partout ! Internet est un outil essentiel, le plus efficace en tout cas", se réjouit l’organisateur français, qui n’a pourtant pas encore de site internet pour lui-même ou sa maison d’édition, Le Veilleur.
En France, plusieurs collectifs seraient prêts à agir, dont des groupes de poètes. Au rassemblement de Paris s’ajouteront d’autres en province, comme à Lille, où 2000 personnes ont été prévenues d’un rasssemblement prévu place de l’Hôtel de ville.
"Il y a aussi beaucoup d’initatives individuelles. Une jeune Chloé de Nancy m’a envoyé un SMS ce matin pour me dire qu’elle avait prévenu tous ses amis." A l’initiative de professeurs, plusieurs collèges seraient aussi partants.
Synchronisation des montres
L’initiative rappelle celle des "flash mobs", ce mouvement né aux Etats-Unis qui coordonne grâce à internet des "foules" pour des actions collectives "éclair", sans but apparent (Lire notre article).
L’idée de libérer des livres est aussi proche du "book crossing", une pratique récente par laquelle 150 000 internautes du monde entier abandonnent leurs livres dans la ville et suivent leur parcours sur un site fédérateur.
Si Emmanuel Lequeux souhaite se démarquer de ces deux mouvements, il se réjouit néanmoins qu’ils aient relayé l’info et annoncé qu’ils se joindraient à l’initiative.
Jeudi 11 septembre, tous les participants s’appelleront à 14h46 (heure française), l’heure précise à laquelle le premier avion détourné a heurté l’une des Twin Towers de New York, le 11 septembre 2001. "Nous serons synchronisés dans le monde entier, explique Emmanuel Lequeux. Ce sera un grand moment."
Au souvenir terroriste du 11 septembre, les organisateurs de l’attentat poétique veulent opposer le livre, comme "symbole de liberté, de conscience et de tolérance".
A Paris, une femme aurait choisi de libérer un des ouvrages qu’elle possède, à mi-chemin entre les ambassades des Etats-Unis et d’Irak.
A la mémoire d’Allende
S’ils se disent désintéressés, les poètes du 11 septembre revendiquent la dimension politique de leur action. "Nous avons choisi cette date noire car elle symbolise aussi pour nous la mémoire de Salvador Allende, assassiné ce jour-là en 1973, lors du coup d’Etat mené par Pinochet au Chili", rappelle Emmanuel Lequeux.
Il raconte qu’Antonio Bertolli, l’organisateur-éditeur-poète de Florence, a, lui, déjà commis un attentat symbolique en 2002 depuis le palais Ducale sur les hauteurs de Gênes, d’où il a lâché 50 000 poèmes. Le geste rappelait le "bombardement" du palais gouvernemental de Santiago du Chili organisé par le mouvement poétique Casa Grande, depuis un hélicopter.
Habitués des manifestations, notamment du mouvement "antimondialisation", les organisateurs croient que leur attentat poétique sera différent, et plus constructif. "C’est la première fois qu’internet va faire exister des actes politiques dans le monde entier non pas contre mais pour quelque chose", s’enthousiasme Emmanuel Lequeux. Prévu pour n’être perpétré qu’une seule fois, l’attentat poétique se veut acte de naissance du mouvement de "RéEvolution poétique". Derrière le jeu de mots un peu évident, Alejandro Jodorowsky et ses complices ambitionnent de "redonner place à la poésie dans la cité et d’’attenter’ au silence, à la paralysie."