Big brother au volant, l’Europe au tournant...
Le gouvernement britannique pourrait être le premier des pays européens à mettre en place un identifiant électronique dans chaque véhicule. Le projet, initié par la Commission européenne, fait l’objet d’une étude de faisabilité menée de concert avec le secteur
privé. Malgré les problèmes qu’elle pose en matière protection de la vie privée, cette technologie pourrait être déployée à l’horizon 2007.
La dernière édition du Sunday Times consacre trois articles au projet d’Electronic Vehicle Identification (EVI), qui prévoit de doter tout véhicule britannique d’une puce électronique.
L’identifiant inclus dans la puce contiendrait des données telles que la marque du véhicule, son modèle, son numéro de série et sa couleur mais également le nom et l’adresse du propriétaire du véhicule, ses numéros de contrat d’assurance et de permis de conduire.
Il serait installé par défaut par les constructeurs de véhicule, ou rajouté lors des contrôles techniques obligatoires effectués chaque année en Grande-Bretagne.
Flics électroniques
L’Association of Chief Police Officers aurait recensé 47 utilisations possibles de l’EVI. Des senseurs, répartis sur tout le réseau routier du pays et mis en relation avec une base de données centralisée, permettraient ainsi d’adresser les amendes directement aux propriétaires des véhicules coupables d’excès de vitesse, de stationnement illégal et autres infractions au Code de la route.
Avec l’EVI, il deviendrait aisé de retrouver une voiture volée, mais aussi de géolocaliser un individu à partir du véhicule qu’il utilise.
Interrogée par The
Sun, l’ONG britannique de défense des droits de l’homme Liberty avance pour sa part qu’un tel système reviendrait à faire de tous les conducteurs des présumés coupables et qu’il nuirait gravement au respect de la vie privée.
D’autant que l’EVI pourrait aussi se coupler avec d’autres
projets de ce type
: il est ainsi question de doter tout automobiliste d’un permis de conduire électronique, tout véhicule d’un code-barre, d’une carte à puce ou d’une plaque d’immatriculation électronique, ou encore d’effectuer une surveillance de l’infrastructure routière au moyen
de mini-satellites.
Le Sun, qui rappelle qu’il existe déjà plus de 4 500 caméras de vidéosurveillance en Angleterre, permettant à l’Etat de récupérer plus de 66 millions de livres d’amendes chaque année, avance que l’EVI pourrait entrer dans le droit britannique à l’horizon 2007.
Bientôt dans toute l’Europe
C’est en tout cas la recommandation faite par le Jill Dando Institute of Crime Science (JDI) au ministère britannique des Transports, qui lui avait
commandé une étude sur la prévention de la criminalité en liaison avec le système d’immatriculation des véhicules.
Véritable test grandeur nature, le développement de l’EVI britannique est suivi de près par l’Union européenne, qui réfléchit à l’instauration d’un système similaire dans tous les pays membres. Prélude à une éventuelle directive sur la question, une étude de faisabilité a été lancée en février 2003.
Dotée d’un budget de 800 000 euros, cette étude est confiée à Ertico. Créé en 1991 à l’initiative de la Commission européenne, cet organisme associe partenaires privés et publics et vise à mettre en place des systèmes et services de transport intelligents (Intelligent Transport Systems and Services -
ITS) au niveau européen.
Le conseil
d’administration comprend plusieurs représentants de constructeurs automobiles (Renault, DaimlerChrysler, Ford...) et de sociétés gestionnaires d’autoroutes. Son président est ainsi Jean-François Poupinel, de la société Cofiroute.
Multiples applications commerciales
Les possibilités offertes par ce genre d’identification électronique intéressent particulièrement l’industrie automobile. Une étude du ministère néerlandais des
Transports détaille les bénéfices espérés de l’EVI.
Outre la régulation du trafic routier et la détection des accidents en temps réel, un tel système permettrait d’améliorer la gestion des parcs de véhicules professionnels et ceux des sociétés de location, le suivi effectué par les compagnies d’assurance, la personnalisation et la sécurisation des véhicules effectuée, en amont et en aval, par
les constructeurs et prestataires de services automobiles, l’authentification des véhicules habilités à pénétrer dans une zone d’accès restreint, etc.
Dans sa présentation de l’EVI,
Ertico précise ainsi qu’il ne s’agit pas tant d’un outil en tant que tel, mais d’un service permettant de développer tout un ensemble d’applications que pourrait utiliser un grand nombre d’opérateurs, tant privés que publics.
L’étude de faisabilité, qui devrait être bouclée en août 2004, est co-dirigée par un représentant du ministère britannique des transports et bénéficie, entre autres, du soutien de ses homologues belges, néerlandais, norvégiens et français.
La Commission, conductrice prudente
Dans sa page de présentation de l’EVI, la Commission européenne se veut, pour l’heure, prudente.
Elle indique qu’au vu de l’étendue du projet, il convient de n’envisager pour l’instant que ses applications "cruciales", à commencer
par la "surveillance du trafic routier, la détection des véhicules volés, l’application de la loi, l’installation de boîtes noires et la facilitation des paiements aux péages". Elle évoque aussi la possibilité d’obliger les véhicules non-européens à se doter d’EVI temporaires dès lors qu’ils entrent dans l’espace Schengen.
Pour la Commission, l’EVI ne pose aucun problème en matière d’atteintes à la vie privée, puisqu’il n’identifiera, a priori, que les véhicules. Elle précise toutefois que, puisqu’il sera interconnecté à des bases de données, notamment policières, il convient d’en renforcer la sécurité, tant d’un point de vue légal que technologique. Elle suggère ainsi d’installer des identifiants "read only" ("pour lecture seulement", NDLR) et de chiffrer les données et leurs transmissions.
Pour la Commission, l’enjeu est "réellement vital si l’on veut limiter l’effet ’Big Brother is watching you’".