Après avoir évité un vote précipité au 30 juin 2003 de la directive européenne visant à établir une brevetabilité du logiciel, les associations de défense de l’informatique "libre" se mobilisent à nouveau avant le vote du Parlement européen, qui doit se prononcer le lundi 1er septembre. Prévue le mercredi 27 août à 14 heures, devant le batiment bruxellois où se tiennent les séances plénières du Parlement, la manifestation, relayée par une "grève virtuelle", est la dernière initiative du front des opposants à la directive pour tenter d’empêcher que ce texte soit adopté (lire Brevetabilité du logiciel : dernière ligne droite).
La manifestation, organisée par l’association belge AEL (Association électronique libre), est soutenue par le front des opposants à la directive, dont les principales structures de défense du logiciel libre. Parmi elles, la FFII (Foundation for a Free Information Infrastructure), une association internationale basée en Allemagne qui regroupe de nombreux acteurs du secteur logiciel, et Eurolinux, alliance européenne des promoteurs du Libre.
Pour rappel, ces organisations s’opposent à la proposition de directive rédigée par l’eurodéputée Labour Arlene McCarthy, qui vise à faire adopter un système de brevets logiciels proche du modèle américain. Ce régime de droit de la propriété industrielle remplacerait le simple droit d’auteur, actuellement en vigueur en Europe.
T-shirt officiel
Selon le porte-parole de la FFII, Harmut Pilch, "mille personnes seront présentes devant le Parlement européen", largement plus que les 200 manifestants présents lors des initiatives précédentes. Les organisateurs encouragent les participants à porter le vêtement fabriqué pour l’occasion, un t-shirt noir aux inscriptions blanches, frappé du slogan : "Les brevets logiciels tuent l’innovation".
"Nous avons besoin des Français présents à Bruxelles, pas seulement à la manifestation, mais pour quatre ou cinq jours. En effet, il nous faut au moins une personne de chaque nationalité européenne pour peser sur le vote du 1er septembre", explique Harmut Pilch, qui souligne depuis longtemps que la brevetabilité pénaliserait lourdement les PME du secteur logiciel européen face aux grands groupes, souvent américains.
En début d’après-midi, des ballons, portant le même slogan, seront lâchés dans le ciel bruxellois. Se tiendront ensuite des cycles de conférences sur le thème des brevets logiciels. Conférences auxquelles, bien entendu, les eurodéputés de tout bord politique sont invités à assister.
Très actifs sur internet, les organisateurs ont prévu que la manifestation soit prolongée en ligne, sous la forme d’une "grève virtuelle". Mercredi, 342 sites ont déjà prévu d’arborer la bannière "No ePatents", accompagnée d’un texte explicatif, à la place de leur page d’accueil habituelle. La grève, pronostique Harmut Pilch, pourrait être votée par des "milliers de sites, dont certains à fort trafic". "Les internautes se passeront également le mot", espère Stefane Fermigier, membre d’Eurolinux et président de Nuxeo, une entreprise spécialisée. La pétition en ligne lancée par Eurolinux a recueilli à ce jour plus de 166 000 signatures.
Pronostic difficile
Dans leur combat contre la directive, les associations estiment que rien n’est encore perdu.
Selon Stéfane Fermigier, d’Eurolinux, les voix des eurodéputés Verts sont "assurées". "On pourra également compter sur les voix de quelques eurodéputés de droite. Les socialistes ont, en revanche, des points de vue divergents. Il est difficile de faire un pronostic."
"Le 1er septembre, le Parlement européen ne votera peut-être que les amendements, si aucune majorité ne se dégage pour la directive en elle-même", estime Harmut Pilch. Dans ce cas, le texte pourrait être renvoyé, pour négociation. "Et il y a pas mal de chances pour qu’une telle situation se présente", espère le porte-parole de la FFII.
Pèseront également sur le vote des députés les avis rendus par deux des trois commissions en charge du dossier au Parlement. Les Commissions Culture et Industrie avaient voté fin 2002 des amendements contre le texte défendu par Arlene McCarthy, qui en avait peu tenu compte dans son rapport rendu en tant que présidente de la Commission Juridique.
Et dans le cas contraire ?
Si, malgré les efforts des associations, le Parlement adoptait la directive le 1er septembre, celles-ci envisagent encore des recours. "Si le Parlement vote en faveur du texte, explique Harmut Pilch, celui-ci sera envoyé au Conseil européen ’Compétivité’ (CPC), composé d’administrations des offices nationaux de la propriété intellectuelle. Ceux-ci suivent généralement la position de l’Office européen des brevets, parfois en désaccord avec la position de leur gouvernement." L’Office européen des brevets est connu pour être un des fers de lance de la brevetabilité et est accusé par les associations d’avoir commencé à imposer ce principe de fait, en accordant de façon détournée des brevets sur des logiciels.
Le vote du Conseil européen "Compétitivité" constituerait une dernière chance. "Parce que le Parlement l’aura voté, le Conseil sera officiellement chargé du dossier et son vote devra s’effectuer, cette fois-ci, en public", explique Harmut Pilch. "Plus le mouvement grossira, plus nous pèserons sur les décisions des administrateurs. Ils seront plus difficiles à influencer que les députés du Parlement, mais il y aura encore moyen d’empêcher que la directive passe." Pour ne pas en arriver à cette extrêmité, les opposants font feu de tout bois pour sensibiliser les politiques et l’opinion aux dangers de la brevetabilité, un thème qui peine à être entendu au niveau national.