Avec les "hydroliennes", une société bretonne veut produire du courant grâce aux courants
Il existe une source d’énergie propre, abondante, renouvelable, pas chère, parfaitement prédictible et qui ne défigure pas le paysage : les courants maritimes. Un peu partout dans le monde, des projets de turbines électriques sous-marines voient le jour. En France, seule une petite société bretonne s’est lancée dans les "hydroliennes". Mais elle ne touche pas un centime d’EDF, qui préfère investir dans cette technologie... au Royaume-Uni.
Maquette des hydroliennes en action (DR)
Créée en 2000 à Quimper, Hydrohélix projette de construire des hélices activées par la marée d’une puissance de 1,2 mégawatt chacune, l’équivalent d’une grosse éolienne. Mais faute d’avoir encore su éveiller l’intérêt de l’Etat et d’EDF, les deux ingénieurs d’Hydrohélix vivotent grâce à une maigre subvention de 120 000 euros, débloquée en novembre 2002 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Depuis, leur projet d’hydrolienne dort dans les cartons.
Les côtes françaises sont pourtant parcourues par des marées puissantes et régulières. Le Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom) est capable d’en prédire les fluctuations cent ans à l’avance. Les marées sont le fruit de l’attraction de la Lune, dont les mouvements sont connus avec une précision sans défaut. Rien à voir avec le vent, dont les changements de direction et de force ne peuvent être anticipés que de quatre à cinq jours au mieux, avec une précision très approximative.
Contrairement aux éoliennes, l’énergie que les hydroliennes sont capables de produire peut donc être parfaitement planifiée.
L’équivalent de trois réacteurs nucléaires
Au large de Brest et de Cherbourg, la vitesse des courants est souvent supérieure à 12 km/h. Selon Hervé Majastre, l’un des deux fondateurs d’Hydrohélix, les littoraux breton et normand sont capables de fournir une puissance de 3 gigawatts (GW), soit grosso modo l’équivalent de trois réacteurs nucléaires. Des pointes à 6 GW seraient possibles pendant les périodes de vives-eaux.
La consommation instantanée d’électricité française se situe aux alentours de 50 GW. D’après Majastre, les courants marins pourraient donc fournir entre 6 et 12 % de l’électricité nécessaire à la France.
D’après Hydrohélix, il faudrait installer 4 500 hydroliennes au fond des mers pour parvenir à un tel niveau de production. Cela représente un rideau d’hélices de quelque 21 km, disséminé à moins de 6 km des côtes, entre les îles de Sein et Ouessant et face au cap de la Hague, dans le Cotentin (à quelques encablures de la célèbre usine de retraitements de déchets nucléaires...)
"Cela n’entravera pas la navigation", promet Hervé Majastre. Les hélices que Hydrohélix envisage de construire mesureraient 16 mètres de diamètre pour une structure de 20 mètres de haut au total. Elles seraient arrimées au fond de l’eau à une profondeur minimale de 25 mètres, largement en dessous du tirant d’eau des bateaux autorisés à naviguer à moins de 6 km de la terre. Les supertankers et autres cargos, eux, croisent plus au large. Quant aux chalutiers, ils ne sont pas autorisés à pêcher aussi près des côtes. Aucun risque pour les filets, donc. Les pales des hydroliennes tournent lentement (environ vingt rotations par minute) et ne risquent donc pas de débiter des tranches de colin.
Selon Hervé Majastre, le coût de production de sa turbine sous-marine ne devrait pas être supérieur à celui des éoliennes (entre 6,7 et 7,2 centimes d’euro par kW/heure, selon un rapport de la Commission européenne, contre 3,4 à 5,9 cts pour le nucléaire et 2,6 à 3,5 cts pour les centrales au gaz). Quant au coût d’investissement, il serait équivalent à celui des éoliennes (un euro le watt) et sensiblement inférieur à celui du nucléaire (environ 1,4 euro le watt).
Ces nombreux avantages semblent pour l’instant laisser EDF indifférent. La France est pourtant à l’origine des premiers pas de l’énergie maritime, avec la construction de l’usine marée motrice de la Rance, près de Saint-Malo, en 1966. Une seule filiale du producteur national d’électricité s’intéresse aujourd’hui aux courants marins, mais elle se trouve en Angleterre.
Le Royaume-Uni se jette à l’eau
London Electricity, fournisseur d’électricité de la capitale britannique racheté par EDF en 1998, a investi l’an dernier cinq millions d’euros dans Marine Current Turbines (MCT). MCT a mis en route début août une petite turbine de 300 kW. Une éolienne à double hélice de 2 fois 500 kW prendra bientôt le relais. MCT espère pouvoir connecter son dispositif au réseau de distribution électrique anglais entre novembre 2004 et mai 2005.
Le Royaume-Uni s’intéresse de près à l’énergie des courants marins. Des initiatives similaires à celle de MCT sont en passe de voir le jour en Ecosse et au Pays de Galles, financées par des consortiums associant les industriels et l’Etat. Les côtes de Grande-Bretagne profitent un peu partout de très fortes marées. Et la perspective du déclin annoncé des champs pétrolifères de la mer du Nord aiguillonne les autorités britanniques, qui investissent tous azimuts dans la recherche et le développement des énergies renouvelables.
Ailleurs, les sociétés Blue Energy au Canada, Hammerfest Stroem en Norvège et Enemar en Italie commercialisent déjà des systèmes de production électrique par les courants. Il s’agit pour l’instant de modestes installations "pilotes" d’une seule hélice (300 kW pour Hammerfest Stroem et 20 kW pour Enemar, dans le détroit de Messine). De nombreux projets d’usines électriques actionnées par les vagues existent également, au Pays de Galles, en Floride et en Nouvelle-Zélande notamment. Il s’agit de "serpents de mer" articulés d’une centaine de mètre de long : l’ondulation de la houle actionne des vérins qui produisent l’électricité.
En France, une seule PME, Iccap, installée à Brest, s’intéresse depuis 1998 à cette autre forme d’énergie propre et renouvelable qu’offre la mer. Avec un succès encore plus confidentiel que Hydrohélix.
Hervé Majastre suit avec une certaine amertume le succès naissant que connaît partout, sauf en France, l’énergie maritime. "Notre puissant lobby nucléaire continue à considérer avec condescendance l’hypothèse d’une prochaine crise de pénurie des énergies non renouvelables, alors que la production électrique française dépend à 75 % de l’extraction d’uranium", regrette-t-il.
EDF dispose aujourd’hui d’une puissance de 0,19 GW d’énergie éolienne et de 0,016 MW d’énergie solaire : à peine 0,5 % de la production nécessaire (environ 50 GW). Selon une directive européenne de septembre 2001, la France est censée faire passer de 15 à 21 % la proportion de son électricité produite à partir d’énergie renouvelable. Pour l’instant, l’essentiel de cette énergie est issu du réseau déjà très dense des barrages hydroélectriques, pratiquement parvenu à saturation.
Après un quart de siècle d’oubli de l’énergie maritime depuis la construction de l’usine de la Rance, il serait peut-être temps de se pencher à nouveau sur une source d’énergie propre, qui semble bien plus avantageuse que l’éolien.