Lundi 18 août, cinq quotidiens algériens étaient absents des kiosques. Ce matin, quatre d’entre eux manquent toujours à l’appel : Le Matin d’Alger, Le Soir d’Algérie, L’Expression et Er-Raï (L’Opinion) d’Oran. Ils sont interdits de paraître, au motif qu’ils n’auraient pas réglé leurs factures auprès des imprimeries d’Etat. Ces titres continuent de publier des informations sur leur site internet respectif, et dénoncent la procédure illégale dont ils s’estiment victimes.
Jeudi 14 août, les quatre imprimeries d’Etat chargées de l’impression de Liberté, du Matin d’Alger, du Soir d’Algérie, de L’Expression, d’Er-Raï et d’El-Khabar, le plus gros quotidien arabophone privé du pays, exigent de leurs clients le règlement sous quatre jours de créances impayées. Le montant des sommes réclamées n’a pas été divulgué. Il varierait selon les journaux, mais se chiffrerait en centaines de milliers d’euros (66 millions de dinars algériens pour Liberté, soit environ 776 000 euros).
"Empochez donc la rançon"
Deux de ces quotidiens, Liberté et Er-Raï, acceptent de s’acquitter à temps des sommes réclamées. Dans un éditorial rageur, le directeur de la rédaction de Liberté, Saïd Chekri, explique pourquoi son journal a payé "la rançon" : "A Liberté, nous sommes riches... de nos convictions. Nous avons payé, car nous avons conscience que, pour servir le pays, il nous faut accomplir le devoir de contribuer à le soustraire des mains des affairistes et des détrousseurs." Et de défier le président algérien : "Empochez donc la rançon, Monsieur Bouteflika et compagnie, et songez dès maintenant à trouver d’autres prétextes pour nous réduire au silence. Mais sachez que vous n’y parviendrez pas."
Mais Liberté et Er-Raï ne sont pas autorisés à paraître pour autant : ils sont respectivement sommés d’éponger les dettes d’Assahafa et du Journal de l’Ouest, deux anciennes publications aujourd’hui disparues.
Liberté a finalement fait sa réapparition jeudi 21 août au matin, après trois jours de suspension. Le Matin d’Alger, Le Soir d’Algérie, L’Expression et Er-Raï sont toujours interdits de publication, n’ayant pas réussi à réunir les sommes exigées.
Les titres suspendus se servent de leur site pour publier des informations, à défaut de pouvoir faire paraître une édition complète. Le Matin d’Alger continue d’alimenter son édition électronique, agrémentée de cet entrefilet daté du 17 août : "Votre journal Le Matin d’Alger, interdit de parution, est cependant disponible sur le Net."
Sur la page d’accueil du site de L’Expression, une fenêtre pop-up
s’ouvre, qui invite l’internaute à réagir à l’affaire des journaux, sous le titre "L’Expression - Edition censurée - Réagissez".
Censure déguisée
L’affaire a immédiatement fait réagir Reporters sans frontières. "Il ne fait aucun doute que c’est le gouvernement qui est à l’initiative de ces injonctions. Il s’agit là de pratiques grotesques pour faire taire la presse algérienne, a affirmé son secrétaire général, Robert Ménard. Ces menaces interviennent, comme par hasard, au moment où ces six journaux viennent de révéler de nombreuses affaires mettant en cause des personnalités du pouvoir et de leur entourage."
Ces derniers temps, et à l’approche des élections présidentielles de 2004, les journaux visés par le pouvoir ne se privaient pas d’égratigner Abdelaziz Bouteflika et son entourage. Le 7 août dernier, Liberté dressait un portrait au vitriol de Saïd Bouteflika, le frère du président algérien, qualifié de "Président bis". Le Matin d’Alger avait, quant à lui, mis à jour plusieurs scandales autour du géant pétrolier Sonatrach.
Pour l’instant, rien ne dit quand ces quotidiens pourront de nouveau paraître. Pour protéger leur indépendance, il faudrait qu’ils se munissent à l’avenir de leurs propres rotatives, plutôt que de dépendre d’imprimeries d’Etat. Deux autres journaux concernés par les réclamations des imprimeries d’Etat, El-Watan et El-Khabar, possèdent ainsi leur propre centre d’impression à Alger.