Anonymat total, usurpations d’identités et manipulations au service des racistes en ligne
Dans son rapport rendu public mercredi 17 juillet sur la galaxie raciste et islamophobe de sos-racaille.org et liberty-web.net (Lire notre article), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) met en lumière le rôle clé joué par le responsable du site cameleon.org. Son expertise technique, payante, aurait permis aux extrémistes racistes de créer des sites web et de publier des messages sur les forums tout en restant parfaitement anonymes. Ce qui expliquerait les difficultés actuelles de la Justice pour les identifier et les punir.
Sos-racaille.org, radikalweb.com, aipj.net... Les sites qu’hébergeait jusqu’à sa fermeture en mars 2003 le portail Liberty-web possèdaient un trait commun : tous ont été créés sous de fausses identités et à de fausses adresses. Ces méthodes communes portent la marque du responsable du site cameleon.org.
Créé en janvier 2000 et fermé en juillet 2001, le site cameleon.org proposait, au nom de la défense de la liberté d’expression, la plus importante collection francophone de ressources consacrées aux différentes techniques permettant de rester anonyme sur internet. Des logiciels et technologies bien utiles notamment dans les pays non ou peu démocratiques, ou encore dans les environnements professionnels férus de cybersurveillance.
Ecrans de fumée
En soi, le contenu du site n’avait rien d’illégal : il se contentait de vulgariser des technologies réputées complexes et hors de portée de l’internaute lambda, en traduisant, par exemple, des modes d’emploi existant jusque-là uniquement en anglais.
L’une des méthodes classiques préconisées par cameleon.org consistait à utiliser plusieurs "remailers". Ces serveurs relais permettent d’effacer toute information concernant la provenance d’un e-mail. Faire transiter un message à travers deux ou trois de ces paravents "anonymisants" rend quasi-impossible l’identification de son expéditeur.
Le dossier du Mrap fournit l’exemple de la réponse d’un internaute anonyme à un message dans lequel un autre internaute indique qu’il vient de saisir la justice américaine pour découvrir l’origine d’un mail. Voici la réponse de l’anonyme :
"Ahahah qu’est ce qu’on se marre :))
1- Ta plainte suivra le cheminement normal dans ce cas : tu dois primo déposer plainte en France et la France doit émettre une CRI [Commission rogatoire internationale, Ndlr] vers les USA :))) 6 mois, si tu y arrives !
2- Un juge fédéral US doit délivrer un mandat aux boites concernées. 3 mois si tu y arrives
3- Les logs [données de connexion, Ndlr] sont produits si ils existent encore !
4- Tu vois que ça vient d’un AUTRE anonymiseur situé à Taiwan, Moscou ou Johannesbourg :)))
5- Tu repars la queue entre les jambes !"
S’il n’a jamais clairement exprimé ses orientations politiques, le responsable de cameleon.org avait les mêmes ennemis que la frange raciste qui s’exprimait sur les forums. Lui aussi s’attaquait à ceux qui s’indignaient des abus et des dérapages occasionnés par les discussions en ligne. Il semble aussi que Cameleon ait vite compris que ces extrémistes pouvaient aussi devenir des clients.
Essor des sites racistes
Cameleon.org proposait en effet, moyennant finance, des solutions d’hébergements anonymes de sites web. En février 2001, son ou ses responsables décident de franchir le pas en créant un site dont ce sera la vocation, liberty-web.net. Sa technique, qui n’a jamais vraiment été mise à jour, semble avoir consisté à entremêler comptes bancaires anonymes, comptes écrans et paradis fiscaux. Une manoeuvre rendant, là encore, impossible l’identification de l’auteur d’un site, même si le secret bancaire sur la transaction de paiement en ligne de son nom de domaine avait été levé.
Forts de leur collaboration avec cameleon.org, les sites web français à connotation raciste, auparavant limités à quelques pages persos hébergées aux Etats-Unis, atteignent une visibilité et une audience jusque-là inconnues. En quelques mois, au cours de l’année 2001, une vingtaine de sites web francophones font leur apparition, tous hébergés par liberty-web.net.
Dopés par leur impunité sur les forums de discussion, extrémistes pro-israéliens et nationalistes européens lancent de véritables campagnes de déstabilisation et de diffamation contre leurs adversaires politiques, reprenant, là encore, un modus operandi dont Cameleon est expert.
Redoutable manipulateur
Adepte des newsgroups, ces forums de discussion permettant de dialoguer sans risque, a priori, d’être censuré, cameleon.org s’y était bâti une fâcheuse réputation.
Redoutable manipulateur ne rechignant jamais devant un bon scandale générateur de publicité, il avait lancé une véritable "guerre de l’information" à l’encontre de ceux qu’il surnommait les "CenSSeurs". Spams, harcèlements divers, menaces, attaques informatiques, diffamations et, surtout, usurpations d’identités...
Coupables à ses yeux d’avoir osé dénoncer ses abus ou d’avoir supprimé certains messages considérés comme abusifs, nombre d’administrateurs - bénévoles - des serveurs de newsgroups ont vu leurs noms accolés à de faux messages nazis ou racistes, émanant par exemple d’un pseudo "Collectif contre l’islamisation de la France et pour le renvoi de tous les bougnoules chez eux". Ce texte appelait à "exterminer cette vermine avant qu’il ne soit trop tard".
D’autres victimes de Caméléon ont été faussement présentées comme des pédophiles. En août 2000, l’un d’entre eux, âgé de 18 ans à peine, a vu le domicile de ses parents investi au petit matin par la gendarmerie, qui recherchait un amateur d’enfants. Les méthodes utilisées par Caméléon et ses "anonymes" relevaient du harcèlement psychologique.
Convoquées par les forces de l’ordre, plusieurs des cibles de Caméléon se sont retrouvées obligées de faire la preuve qu’elles étaient innocentes. En effet, s’il est relativement aisé, pour quelqu’un ayant les connaissances techniques nécessaires, de s’apercevoir qu’il s’agissait d’usurpations d’identité, ce n’est pas le cas pour la majeure partie des internautes, gendarmes et policiers peu ou pas formés à ce genre de subtilités.
Cameleon évaporé
Les nombreuses plaintes déposées par les adversaires de cameleon.org n’ont jamais rien donné. Profitant de son anonymat, il s’est évaporé fin juin 2001. Quinze jours après que son responsable eut annoncé publiquement que le site était à vendre, le rideau est tombé sur cameleon.org. La seule page encore disponible aujourd’hui indique : "Nouvelle version en préparation..."
Les raisons de la disparition organisée de Caméléon n’ont jamais été clarifiées. En tout cas, les techniques et l’infrastructure qu’il a mises en place ont continué de servir la galaxie de Liberty-web et de Sos-racaille, dont aucun des reponsables majeurs n’a été identifié jusqu’à présent.
A ce jour, personne n’a réussi non plus à démasquer le ou les auteurs du site cameleon.org, dont le nom de domaine est référencé comme appartenant à un certain John Deuff habitant Oungala Pirala Kantaroudi, à Singapour.