Sos-Racaille : le Mrap dénonce la naissance d’une "nouvelle extrême droite sur internet"
L’association sort un rapport pour pousser les autorités à agir. Judicieux ?
Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) doit rendre public, mercredi 17 juillet, un rapport sur "La naissance d’une nouvelle extrême droite sur internet".
Fruit de deux années d’enquête, ce dossier de 165 pages, dont Transfert s’est procuré une copie, dénonce le racisme anti-arabe et islamophobe d’une coalition composée de membres de l’extrême droite sioniste et de nationalistes européens. Au centre de cette nébuleuse se trouvaient le site sos-racaille.org et l’hébergeur liberty-web.net (voir notre article), aujourd’hui fermés.
En diffusant ce document, le Mrap espère provoquer une prise de conscience sur la montée de cette islamophobie et, surtout, une réaction des autorités. Pour l’association, seule une véritable volonté politique mettra un terme à cette affaire qui, malgré le travail de plusieurs services de police et de nombreuses plaintes en justice, attend toujours son dénouement.
Appels au meurtre, menaces de mort, provocation à la haine raciale et religieuse, piratages informatiques, diffamation, usurpations d’identité tendant à faire passer leurs ennemis pour des pédophiles ou des néo-nazis... Les accusations portées par le Mrap à l’encontre de cette nébuleuse raciste et islamophobe sont lourdes.
Réalisée par un groupe d’informaticiens, l’enquête du Mrap décortique l’imbrication des différentes composantes de cette mouvance d’extrême droite. "C’est du bon boulot", juge un fonctionnaire de police, qui suit l’affaire.
Médiatiquement, tout commence en juin 2001 lorsque des avocats de l’association Sos-Racisme portent plainte contre les auteurs du site sos-racaille.org. Créé en janvier 2001, ce site, qui reprend la charte graphique de Sos-Racisme, entend dénoncer le racisme anti-blanc, l’islamisation de la France et l’impunité judiciaire dont jouiraient les "racailles de banlieue". En quelques mois, Sos-Racaille affiche déjà quelque 300 000 pages vues, signe d’une intense activité de l’extrème droite en ligne.
Sos-Racaille, dont le responsable répond au pseudonyme de "Nick Samere", est hébergé aux Etats-Unis, sur les serveurs de liberty-web.net. Fondée en février 2001, cette société héberge 25 autres sites, eux aussi créés avec de fausses identités et de fausses adresses. A deux exceptions près (Sos-justice.net et l’hébergeur porno Welcum.net), tous expriment ouvertement un racisme islamophobe allant pour certains jusqu’à prôner la "guerre civile" contre les arabes et leurs défenseurs.
Si certains sites développent l’idéologie traditionelle des nationalistes européens (Radikalweb.com), d’autres comme amisraelhai.org reprennent les arguments de l’extrême droite israélienne contre le peuple palestinien.
Au coeur de cette coalition hétéroclite, on retrouve l’auteur du site cameleon.org. De sa création, en janvier 2000, jusqu’à sa fermeture, en juillet 2001, cameleon.org proposait, au nom de la défense de la liberté d’expression, la plus importante collection francophone de ressources consacrées aux différentes techniques permettant de rester anonyme sur l’internet. Pour le Mrap, cameleon.org est le cerveau technique - rémunéré - qui a permis de fédérer ces différents groupes en un réseau.
Seconds couteaux identifiés
Profitant de ce savoir-faire, ces nouveaux "anonymes" ne tardent pas à s’attaquer en ligne à leurs opposants. Le forum fr.soc.politique, consacré aux débats politiques, est ainsi devenue une cible de choix et nombre de ses contributeurs ont rapidement fait les frais d’attaques et d’usurpations d’identités reprenant le même modus operandi que celles émanant de cameleon.org.
En face, la machine judiciaire se met en marche. Plusieurs services de police sont sur le coup : les Renseignements généraux (RG), l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), la Direction de la surveillance du territoire (DST) et même la Division nationale anti-terroriste (Dnat). Celle-ci a été saisie en février 2003 suite à un appel au meurtre lancé à l’encontre de Jacques Chirac par un anonyme se réclamant des "Comités Canal Résistance" (CCR), censés être le "bras armé" de la constellation, mais dont la seule action revendiquée reste le barbouillage en tricolore de quelques mosquées en janvier 2003.
Après deux ans d’enquête, le butin reste maigre. Si la nébuleuse Liberty-web s’est auto-dissoute début mars 2003, en raisons de dissensions internes à propos de l’Irak mais aussi probablement à cause de la pression policière, seuls quelques seconds couteaux ont été identifiés à ce jour.
L’un d’eux est Denis Greslin, ancien candidat du Front national et du Mouvement national républicain (MNR) à plusieurs élections (voir notre article). L’un des rares contributeurs de sos-racaille.org à l’avoir fait sous son vrai nom, il a été arrêté le 10 juin 2003, avant d’être relâché, aucune charge ne pesant contre lui.
Dans son rapport, le Mrap affirme avoir cependant formellement retrouvé un autre participant du réseau : François Thouvenin, un catholique intégriste. Sous le pseudonyme de Stofflet, ce traducteur-réviseur employé au Conseil de l’Europe qualifiait, entre autres choses, les Maghrébins de "colons boucaques", mais n’aurait pas été inquiété par la justice.
Enfin, Alexandre Attali, créateur d’amisraelhai.org, comparaîtra en septembre prochain pour provocation à la haine raciale (voir notre article).
Excepté cette dernière plainte, qui fait suite à une action du Mrap, la plupart des autres ont été classées sans suite, les différents services de police chargés de les instruire - qu’ils soient ou non formés à ce genre d’enquêtes "techniques"- ne parvenant pas à identifier ceux que les familiers du dossier surnomment les "nuisibles".
Un rapport... de force ?
C’est cette situation qui pousse aujourd’hui le Mrap à divulguer les informations recueillies. "Les auteurs de ces actes et propos racistes bénéficient d’une impunité totale, estime Mouloud Aounit, son secrétaire général. Nous avons alerté la police, déposé plainte, interpellé le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice, plusieurs parlementaires... Aucune réponse. Aujourd’hui, nous tirons la sonnette d’alarme. Pour résoudre ce dossier, il faut une véritable volonté politique, pour qu’enfin on se donne vraiment les moyens de mettre ces gens hors d’état de nuire. Si le Mrap a obtenu des informations, la police devrait y parvenir aussi..."
En publiant son rapport, le Mrap entend mettre en lumière la stratégie d’alliance de l’extrême droite. "Elle mène un double jeu : d’un côté, elle collabore avec les sionistes radicaux. De l’autre, elle apporte sa solidarité au régime irakien de Saddam Hussein, contre les Américains et Israël", analyse Mouloud Aounit.
Le Mrap veut également alerter l’opinion publique sur "la perméabilité de notre société au racisme anti-arabe" : "Il existe deux poids deux mesures dans la lutte contre le racisme : on ne tolère pas l’antisémitisme mais l’islamophobie, elle, est omniprésente", estime son secrétaire général, qui annonce le lancement, en septembre, d’une campagne de mobilisation et la création d’un observatoire de l’islamophobie.
La tactique de médiatisation choisie par l’association anti-raciste soulève cependant plusieurs questions.
Fidèle à une tradition républicaine, le Mrap traque sans relâche les propos racistes trouvés sur le net. Une stratégie que de nombreux activistes anti-racistes du web considèrent comme contre-productive. Outre qu’elle donne une publicité et une crédibilité à des gens peu recommandables qui ne demandent que cela, cette focalisation contribue à renforcer la surveillance d’internet et, au delà des propos racistes ou antisémites, c’est toute la liberté d’expression qui pourrait un jour en pâtir.
S’il exige des "sanctions très fortes" dans le dossier Sos-Racaille, Mouloud Aounit se défend de toute volonté de censure : "Internet est un outil formidable et je ne suis pas là pour limiter la liberté d’expression. Mais pour moi, le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit qui doit être sanctionné. La liberté d’expression nécessite le respect de l’égale dignité de chaque individu."
La publication de l’enquête du Mrap ne réjouit pas non plus les policiers en charge de l’affaire. "La pression de la presse ne fait que precipiter les choses et avorter les enquêtes", estime ainsi un membre de la police, pour qui Sos-Racaille doit sa réputation à la presse et au Mrap. Ce policier poursuit : "Alors qu’en attendant, on pouvait faire tomber un reseau, on va juste faire tomber deux ou trois sous-fifres, pour calmer l’opinion. Le bon boulot se fait hors projecteurs."
Sans attendre de voir ce que donneront les enquêtes de police dans les mois à venir, les "anciens" de Liberty-web ont déjà commencé à tenter de reconstituer leur réseau (lire notre article).
Sur les cendres de la nébuleuse, plusieurs s’affairent à faire renaître feu Sos-racaille, qui reste une des expériences les plus fortes de haine en ligne.