Liberty-web rassemblait l’extrême droite traditionnelle et les sionistes radicaux
Alors que l’extrême droite s’est maintes fois illustrée par ses divisions, l’hébergeur liberty-web.net a réussi, de février 2001 à mars 2003, le tour de force de créer les conditions d’un rapprochement "judéo-chrétien" entre différents mouvements se réclamant de cette tendance politique.
Le portail créé par ces militants d’extrême droite regroupait en effet 24 sites parmi lesquels cohabitaient sionistes radicaux et nationalistes français. Constitués en réseau, les auteurs de ces sites partagaient une haine commune : l’islamophobie. (lire notre article sur l’affaire Sos-racaille)
Créé à la mi-février 2001, le site liberty-web.net proposait, contre rémunération, un hébergement anonyme de sites web. Sa particularité : à deux exceptions près, 24 des 26 des sites hébergés étaient ouvertement racistes, nationalistes, catholiques intégristes, royalistes ou sionistes extrêmistes.
Ces sites étaient tous accessibles depuis le portail Liberty-web. Présentés sur la page d’acueil de l’hébergeur comme les maillons d’un réseau fustigeant la "Ripoublique bananière islamique de Francarabia", ils s’en prenaient aux arabes, aux musulmans, aux anti-racistes et autres tenants de "l’anti-France". Chacun de ces sites proposait des liens qui renvoyaient vers les autres.
Un forum raciste très fréquenté
Point de ralliement de ce réseau : le forum de discussion d’un des sites hébergés par Liberty-web, Sos-Racaille.
Plusieurs centaines d’intervenants se sont exprimés sur ce forum, essentiellement sous pseudonymes. Selon le Mrap (Mouvement contre le racisme pour l’amitié entre les peuples), qui a porté plainte à plusieurs reprises contre la nébuleuse fédérée par Sos-Racaille, 150 000 messages y furent échangés.
Salle de réunion permanente et caisse de résonance du réseau, il était fréquent de voir apparaître sur ce forum des incitations à la haine raciale ou religieuse. Y circulaient également des informations sur les "racailles", les anti-racistes ou encore les actions des Comités Canal Résistance ou CCR, qui faisaient office de branche armée du réseau. La majeure partie des échanges restaient néanmoins bénins.
S’il servait régulièrement de déversoir à la haine des arabes et des musulmans, les propos antisémites y étaient par contre proscrits : aussitôt publiés, leurs auteurs étaient bannis.
Ce forum permettait aussi de mettre en relation les militants désireux de créer de nouveaux sites web, ou de s’informer sur des questions techniques concernant l’anonymat sur l’internet.
Parmi les contributeurs, au moins deux d’entre-eux s’étaient vantés d’émarger au ministère de l’intérieur.
Sos-racaille, pilier du réseau
Créé en janvier 2001 dans le but de s’attaquer à Sos-Racisme et de dénoncer la "racaille" des banlieues, Sos-Racaille est sans conteste le plus connu et le plus médiatisé de tous les sites qui étaient hébergés par Liberty-web. Les liens entre l’hébergeur et ce site web sont étroits, puisque l’administrateur de Liberty-web était aussi l’animateur de Sos-Racaille.
A ce jour, l’auteur du site Sos-Racaille reste encore inconnu des services de police. Selon le Mrap, il aurait appelé, dans un message posté sur un forum usenet (fr.soc.politique) en juillet 1999, avant la création de Sos-racaille, les Français à se lever pour détruire "cette merde infame qu’est le bougnoul !" (sic), parce qu’"un bon arabe est un arabe mort".
Hébergé sur Liberty-web au début 2001, sos-racaille.org s’est fait connaître des médias et du public en juillet 2001, en republiant la liste des avocats que l’association Sos-Racisme avait initialement mis en ligne sur son propre site web. Sos-racaille.org avait placé, en préambule à la liste, un commentaire les qualifiant d’"avocats haineux des associations anti-France (défendant) la racaille et les nik’ta mère".
Certains des avocats visés avaient alors porté plainte (Lire notre article et Justice et police enquêtent contre Sos-Racaille).
Plusieurs sites pro-sionistes
Sur Liberty-web, l’extrême droite "classique" a longtemps cohabité sans souci avec l’extrême droite israélienne.
Parmi les représenants de cette tendance, Alexandre Attali, l’auteur du site Amisraelhai.org (en hébreu, "le peuple d’Israël vit", Ndlr) appelait les internautes à infliger crachats et coups de battes de base-ball à certaines personnalités d’origine juive.
Dûment nommées sur Amisraelhai.org, ces personnalités étaient accusées d’avoir soutenu la Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (CAPJPO). Nombre des victimes, juives ou non, de ce dossier, se comptent ainsi dans les rangs de ceux qui, sans être forcément être pro-palestiniens, dénonçaient l’attitude du gouvernement israélien.
Liberty-web hébergeait par ailleurs aipj.net, une sorte d’agence de presse spécialisée dans la "rectification" des dépêches AFP et dans la dénonciation de la couverture du conflit israélo-palestinien par les médias, systématiquement accusés d’épouser la cause "terroriste".
Sur aijp.net, les antiracistes étaient présentés comme des "collabos" et Jérusalem comme "la capitale éternelle d’Israël". On y trouvait, entre autres, les textes de La Haine et l’orgueil, le livre d’Oriana Fallaci haineux à l’encontre des musulmans, ou encore des écrits d’Alexandre del Valle, un intellectuel d’extrême droite encensé de nombreux sionistes qui n’a de cesse de dénoncer le "totalitarisme islamiste".
Très proche de liberty-web.net, le responsable d’aipj.org, qui hébergait les forums de sos-racaille.org, est considéré par le Mrap comme l’une des principales chevilles ouvrières de la nébuleuse de sites de Liberty-web.
Paradoxalement, les noms de domaine aipj.net et aipj.org furent explicitement choisis en réaction à J’Accuse... ! Action Internationale Pour la Justice (AIPJ ). Cette association avait porté plainte contre front14.org, un hébergeur américain de sites racistes et néo-nazis, précisément au nom de la lutte contre l’antisémitisme et le négationnisme (voir notre article).
Proche des associations antiracistes, J’Accuse prônait la surveillance de l’internet et la censure des sites web offensants : toutes choses qui ne pouvaient qu’irriter les proches de liberty-web.net, qui se prétendaient farouches défenseurs de la liberté d’expression.
Unis contre le monde arabe
Qu’ils aient été créés par des tenants de l’extrême droite française traditionnelle ou par des militants de l’extrême-droite juive ou israélienne, les auteurs de ces sites se rejoignaient sur un point : l’islamophobie.
Dans une interview réalisée le 24 janvier 2002 pour Canal Résistance, la radio du réseau, le webmaster de sos-racaille.org avançait qu’"Israël est le rempart du monde non musulman contre les musulmans. De leur survie dépend notre survie".
Soutenant "à 100%" l’intervention américaine en Irak, le responsable de Sos-Racaille espérait voir s’embraser le Proche-Orient de sorte de contraindre la France et les Français à prendre position contre le monde arabe.
Le militant extrêmiste précisait que seule une "guerre civile" en France entraînerait le renvoi des étrangers chez eux, et permettrait de "neutraliser" un certain nombre d’opposants. A commencer par Mouloud Aounit, secrétaire général du Mrap, victime à plusieurs reprises d’accusations de Sos-racaille et de menaces de mort "anonymes".
Un dommage collatéral inattendu
Après plus de deux ans d’activité, le 7 mars 2003, l’administrateur de liberty-web.net, également animateur de sos-racaille.org, fermait l’ensemble des sites hébergés, à la surprise générale. A commencer par celle des militants de base du réseau et des webmasters des sites hébergés.
Cette fermeture faisait suite à des altercations survenues entre les membres des sites de l’extrême droite "classique" et ceux créés par des militants de l’extrême droite juive.
Selon le Mrap, la guerre du Golfe aurait entraîné une "cassure idéologique" entre les deux principales composantes du réseau : Les activistes pro-israéliens, "pour qui l’alliance avec les Etats-Unis est sacrée", s’opposaient aux pro-lepénistes, "pour qui l’’alliance’ avec l’Irak est le garant de la politique nationaliste".
Les responsables pro-israéliens des principaux sites de la nébuleuse liberty-web.net auraient alors décidé "de jeter l’éponge". En lieu et place de leurs sites, ils ont affiché un message rageur indiquant que "la bande de bâtards qui soutient Ben Shirak à 90 % ne mérite qu’une chose : l’islamisation TOTALE de la France".
La guerre du Golfe, et la position de la France lors de ce conflit, aurait ainsi eu raison de ceux qui, pendant plus de deux ans, avaient réussi à constituer cette "nouvelle extrême droite sur internet" que le Mrap cherche aujourd’hui à dénoncer.
La justice est impuissante mais la PJ s’active
A ce jour, aucun auteur de ces sites n’a été jugé. Si, selon le Mrap, une vingtaine de plaintes a été déposée contre ces sites, aucune n’a donné lieu à un procès. Ces plaintes ont été classées sans suite car, bénéficiant des services d’anonymiser proposés par Liberty-web, les principaux responsables des sites n’ont pu être poursuivis.
Seule exception : Amisraelhai.org. Déposée le 1er aout 2000 pour "provocation à la haine", la plainte du Mrap à l’encontre de l’auteur de ce site aboutira à un procès, dont les plaidoieries débuteront le 30 septembre 2003.
Si ce procès peut avoir lieu, c’est parce que l’auteur d’Amisraelhai.org a pu être identifié : il avait enregistré son nom de domaine sous son propre nom avant de recourir aux services d’anonymisation de Liberty-web.
Face à la nébuleuse organisée autour de Liberty-web, la justice est généralement dans l’incapacité d’agir. Il semble toutefois que la police ait commencé à s’intéresser de près à ce réseau. Selon un fonctionnaire de police proche du dossier, la police judiciaire a choisi le moment où des dissentions sont apparues entre les deux courants principaux de cette extrême droite en ligne "pour ’taper’ et procéder aux premières interpellations et perquisitions". Selon cette même source, d’autres interpelllations et perquisitions devraient avoir lieu.