Un journaliste chinois explique l’art et la manière de faire entendre la voix de la dissidence sur Internet
Paru ce jeudi 19 juin, le rapport de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté d’expression sur Internet consacre de nombreuses pages à la situation chinoise.
En Chine, Internet connaît, depuis 5 ans, une croissance fulgurante : le nombre d’internautes double pratiquement tous les six mois et celui des sites tous les ans. A l’heure actuelle, on dénombre 50 millions d’internautes et des dizaines de milliers de sites chinois. Mais malgré la rapidité surprenante de ce développement, les autorités parviennent à contrôler une grande partie des informations publiées sur la Toile : sur les 51 internautes emprisonnés dans le monde que RSF a recensés dans sont rapport du 19 juin, les trois quarts sont incarcérés en Chine.
Mise en place d’un arsenal de lois de plus en plus répressives, blocage de sites, contrôle des forums de discussion, fermeture de cybercafés... La police chinoise dispose de vastes moyens légaux, financiers et humains pour faire taire la voix de la cyberdissidence.
Avec une dose de malice, un peu de débrouillardise et quelques subtilités dans l’utilisation de la technologie et l’art de manier le langage, des journalistes chinois parviennent tout de même à publier sur le Net des informations "politiquement incorrectes" aux yeux du régime communiste, et à les diffuser auprès de leurs compatriotes.
C’est le cas de Cai Chong Guo, journaliste pour le quotidien en ligne China Labour Bulletin, interdit en Chine. Cet ancien professeur de philosophie, installé depuis 1989 en France, consacre aujourd’hui une grande partie de son temps à publier articles et éditoriaux sur ce site d’information dédié aux problèmes sociaux de son pays. Cinq permanents travaillent au sein de la rédaction. L’un est basé à New York, trois autres à Hong-Kong. Cai Chong Guo travaille depuis Paris.
Depuis la France, comment obtenez-vous vos informations pour écrire vos articles qui traitent essentiellement des problèmes chinois ?
Cai Chong Guo : Les forums de discussion des sites chinois constituent notre source principale d’informations. Nous les surveillons de très près, en comptant sur la fatigue des webmasters chargés de leur modération. Parfois, certains messages restent une à deux heures sur les forums avant que le webmaster, ou la police, ne les fassent disparaître. De nombreux internautes utilisent ce moyen pour faire part de leurs critiques ou de leurs revendications envers des nouvelles mesures ou des comportements qu’ils jugent inadmissibles de la part du gouvernement chinois. Nous recevons aussi beaucoup de mails qui viennent de Chine. Et quand les mails sont censurés, il nous reste le téléphone !
Comment les internautes chinois accèdent-ils à votre site ?
Notre site est interdit en Chine. Nous leur faisons parvenir nos informations par newsletter. Si une l’adresse email que nous utilisons pour l’envoi ne fonctionne pas, nous en essayons une autre, puis une autre, puis une autre... jusqu’à ce que le message leur parvienne. Comme nos lecteurs, je possède de nombreuses adresses emails.
Alors que le gouvernement chinois filtre et censure de nombreux sites et de nombreux mails, China Labour Bulletin existe depuis 1997. Les autorités chinoises ne cherchent-elles pas à vous empêcher de paraître ?
Tout comme les républicains américains ou les socialistes français, les communistes chinois manient leur propre langage. Pour faire passer un article, il ne faut pas écrire "il faut renverser le régime communiste chinois". On parle plutôt de "réforme de l’administration". De même, nous n’évoquons pas "la mise en place d’un syndicat", nous parlons de "la création d’associations autonomes dans le but de favoriser la négociation". En utilisant ce langage, il devient difficile, pour la police, de juger si notre discours est politique ou pas.
Le site du China Labour Bulletin:
http://www.china-labour.org.hk
Le site de Reporters sans frontières:
http://www.rsf.org