Le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a condamné lundi 26 mai l’association la Droite libre, à la demande de plusieurs organisations syndicales, dont les boites mails avaient été bloquées par un envoi massif de courriers électroniques.
Après avoir entendu l’exposé des motifs lors de l’audience du 21 mai, le juge Louis-Marie Raingeard de la Blétière a donné raison, dans sa décision, aux plaignants : le Syndicat national des enseignements du second dégré (Snes), la Fédération syndicale unitaire (FSU), l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) et son secrétaire général, Alain Olive.
Des militants trop turbulents...
La Droite libre, un regroupement d’adhérents de l’Union pour un mouvement populaire (UMP et son président, Rachid Kaci, se sont vus enjoindre de cesser la publication de l’appel à la manifestation électronique, de publier l’ordonnance de référé sur leur site et de payer un total de 3600 euros à titre de provision sur dommages-intérêts et de remboursement de frais de justice.
En revanche, l’UMP, qui avait été citée à comparaître puisque son logo figure sur le site de la Droite libre, a été mise hors de cause. Elle dit aujourd’hui se réserver "le droit d’agir en contrefaçon" contre ses militants trop turbulents.
Pour le magistrat, l’action de la Droite libre a clairement privé les syndicats de l’usage des services de courrier électronique et "constitue dès lors un trouble manifestement illicite auquel il doit être mis fin". D’autant que, dans sa newsletter du 14 mai, la Droite libre affirmait "Ils bloquent la France, nous bloquons leur boite mail". Pour le juge, "cet objectif caractérise une intention malicieuse, l’action ne pouvant dès lors se prévaloir d’un exercice normal de la liberté d’expression tandis qu’elle n’est pas justifiée par une permission de la loi".
La décision du tribunal a sans doute été renforcée par le fait que, contrairement à ce qu’avançait l’avocat de la Droite libre, l’appel à la manifestation était toujours accessible sur le site.
... et coupables d’étourderie
"La partie adverse est allée chercher sur le site la page mémoire de notre newsletter du 14 mai. Une page rémanente que nous avions totalement oubliée, explique Arnaud Dassier, le secrétaire général de l’association, pourtant consultant de la société de webdesign l’Enchanteur. Ils ont ainsi montré qu’il y avait encore matière à poursuivre. Sinon, le référé tombait..."
Le militant de l’UMP s’estime néanmoins satisfait. "Sur le fond, ce jugement ne veut rien dire. Si nous n’avions pas commis d’imprudence technique, avec cette page rémanente, et sémantique, dans l’intitulé de notre opération, la décision aurait été différente, estime Arnaud Dassier. Surtout, je ne voudrais pas que cette affaire dissuade des gens de lancer ce genre d’opération. La décision du juge interdit une action visant explicitement à bloquer une boite mail, pas une campagne de manifestation électronique."
Suite à la décision, la Droite libre a déjà fait appel à la générosité des abonnés de sa newsletter, via une "Souscription nationale pour défendre les réformes".
"Il s’agit d’assumer collectivement notre action jusqu’au bout", explique Arnaud Dassier, qui jubile de voir l’association transformée "en martyre de la cause".
"Que cela ne se reproduise pas"
Les syndicats ont naturellement accueilli la décision du tribunal avec au moins autant de satisfaction. "Nous sommes très contents à plusieurs titres, indique Jean-Jacques Mornetas, trésorier adjoint du Snes. D’abord parce que cette action constituait une atteinte au droit d’expression syndicale et au droit de grève. Ensuite, pour internet, car cela pouvait créer un dangereux précédent. Dans le contexte actuel de mouvement social, il était important que ce genre de choses ne se reproduise pas."
Le syndicat enseignant n’entend pas donner à l’affaire une suite judiciaire sur le fond, car "le principe nous suffit", explique le responsable interrogé par Transfert.
Ce n’est vraisemblablement pas le cas de Force ouvrière. La confédération de Marc Blondel envisage de déposer une plainte au pénal pour blocage de système de traitement automatisé des données.
Reste à savoir si le jugement en référé du TGI de Paris constitue un dangereux précédent susceptible de limiter la liberté d’expression sur le net.
"C’est une ordonnance sans surprise puisqu’il s’agissait clairement d’un délit dont l’objectif était annoncé sur le site, estime Olivier Iteanu, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies. Le meilleur régulateur du réseau, c’est le juge. C’est lui le garant des droits de la défense. Lorsqu’il prend une décision, il rappelle l’ordre démocratique. Le plus ahurissant, c’est qu’une organisation politique se soit lancée dans une telle opération. Un parti doit avoir le respect des autres et agir dans le cadre légal. Si à chaque conflit social, cela se passait ainsi, les syndicats ne pourraient plus fonctionner. Avec 100 personnes, on pourrait tout bloquer."