Tegam contre Guillermito : la liberté d’analyse technique des logiciels mise en cause
L’internaute attaqué par l’éditeur de l’anti-virus Viguard est un habitué de la dissection de programmes "miracle"
Fin avril, Guillermito a vu fermer son site, sur lequel il critiquait le logiciel anti-virus Viguard, édité par la société française Tegam. Floue, cette affaire (Lire "Un internaute français plongé dans une étrange affaire, pour avoir critiqué un anti-virus"), qui met en scène Tegam, des services de police et un internaute français chercheur aux Etats-Unis, remet en cause la liberté d’analyse et de critique technique des logiciels sur Internet.
Fin avril, trois policiers spécialisés dans les infractions aux nouvelles technologies se présentent chez l’hébergeur marseillais Waw. Ils agissent dans le cadre d’une commission rogatoire d’un juge parisien. Waw héberge le site pipo.com sur lequel les internautes peuvent trouver, outre une belle collection d’hologrammes, un petit dossier critique sur le logiciel antivirus Viguard de la société Tegam, dirigée par Marc Dotan.
Le dossier, publié par Guillermito, un chercheur en biologie moléculaire à Harvard aux Etats-Unis, démontre, techniquement, que le logiciel ne tient pas ses promesses et n’est pas une solution efficace, s’il est utilisé seul sur l’ordinateur à protéger.
Saisie virtuelle
Selon l’hébergeur, les policiers ont donné très peu d’informations sur l’affaire, mais ont réalisé une copie du serveur de Guillermito et ont demandé la fermeture de son espace internet (FTP et web).
Initialement, Waw avait indiqué à tort que le serveur avait été saisi. L’hébergeur a en fait suspendu de son propre chef l’hébergement de Pipo.com, un site d’information collectif consacré à l’informatique, sur lequel étaient hébergées les pages de Guillermito.
Le propriétaire des pages juge cette décision compréhensible : "Ils m’avaient hébergé gracieusement depuis 1996, ce dont je les remercie et, visiblement, ils ont des ennuis à cause de moi. J’en suis désolé."
Le procureur, la juge instruction, le service de police concerné et Tegam ne souhaitant pas communiquer, le cadre judiciaire exact de cette affaire reste encore flou.
La société Tegam, elle, n’apprécie visiblement pas la critique. L’éditeur de Viguard n’est jamais entré dans le débat technique soulevé par Guillermito, pourtant longuement évoqué entre connaisseurs dans le groupe de discussion fr.comp.securite.virus.
Tegam observait pourtant de près ce forum et laisse entendre qu’elle y a repéré un "spécialiste" qui critiquait Viguard mais était en fait rémunéré par un éditeur de logiciels concurrents.
Pour discréditer Guillermito, Tegam n’a pu que l’accuser de terrorisme, sur son site, sans pourtant prouver cette affirmation.
Vous avez dit "incassable" ?
En fait, Viguard n’est qu’un des logiciels critiqués par Guillermito, habitué à disséquer, tester et discuter les failles de programmes. Depuis 1996, toute faille est publiée dans la liste de diffusion américaine Bugtraq et donne lieu à une mise à jour du logiciel par ses auteurs.
Outre une critique de quelques déclarations aussi tonitruantes que burlesques de l’éditeur de logiciels de sécurité NAI/McAfee, Guillermito a par exemple démonté plusieurs logiciels de stéganographie, ces programmes permettant de cacher des informations au sein d’un fichier informatique. Et sa démarche critique avait reçu un accueil positif de la part des éditeurs.
Cette affaire-là avait commencé il y a quelques mois, quand Jean-Paul Ney, expert auto-proclamé d’Internet, passe dans l’émission Le Journal des Bonnes Nouvelles de Karl Zéro. L’homme, aussi consultant pour la chaîne I>Télévision, explique qu’il est possible de cacher des informations dans un fichier grâce à la stéganographie.
Selon lui, Al Qaeda aurait utilisé ce procédé, que même les agences de renseignement américaines comme la NSA ne pourraient "casser". Jean-Paul Ney expose ses théories dans le forum spécialisé fr.misc.cryptologie. Il se fait aussitôt ridiculiser et entraîne l’émission de Karl Zéro dans son sillage par la même occasion...
Piqué au vif, Jean-Paul Ney lance alors un défi. Il a caché un document Word dans une photo publiée sur un site web. Selon lui, personne ne pourra le retrouver. Pas de chance, Guillermito (et quelques autres participants de fr.misc.cryptologie) découvre le document dans la foulée et en diffuse le contenu sur le forum.
Cette histoire gaguesque sera racontée par le journal Pirates Mag n°13. Elle a par ailleurs probablement trouvé son épilogue tragi-comique, comme le racontait début mai Le Point dans un article sur Jean-Paul Ney, révélant sa mise en examen pour "vol et atteinte au secret de la défense nationale".
"L’expert Internet" est par ailleurs mis en examen pour "menaces de mort réitérées" et a récemment été placé en détention préventive pour ces faits pendant près de trois mois.
"Merci de votre aide"
A la suite de cet épisode, Guillermito, sur son site, analyse Camouflage, le logiciel de stéganographie utilisé par Jean-Paul Ney, puis quelques autres, comme JpegX, InPlainView, InThePicture ou Invisible Secrets 2002.
Les auteurs de ce dernier, un logiciel commercial, ont pourtant remercié Guillermito en retour : "Nous avons modifié Invisible Secrets le 15 octobre 2002 et l’"erreur" que vous mentionniez dans votre article à propos du BMP est désormais résolue. S’il vous plaît, vérifiez cela dans le code du programme et modifiez votre article pour en tenir compte. Vos commentaires sont toujours les bienvenus. Merci pour votre aide".
Les analyses techniques sur les logiciels de stéganographie de Guillermito ont par ailleurs été citées par le projet Honeynet, le site de référence sur les "pots de miel", ces machines servant à attirer les pirates pour étudier leur comportement.
Les problèmes actuels de Guillermito posent la question de la critique technique des produits que chacun peut se procurer. On voit mal les marques attaquer systématiquement le magazine 60 millions de consommateurs lorsqu’il se livre a des études de produits.
Dans le cas de Viguard, il est étrange de constater que son éditeur Tegam évite le débat technique. Or il s’agit justement d’un débat technique et pas d’un débat d’idées. Il conviendrait donc de vérifier avant tout la validité technique des analyses de Guillermito. Que personne n’a encore mise en doute.