Le défenseur des logiciels libres et fondateur d’EUCD.info dénonce la future loi sur la copie numérique
L’Association électronique libre de Belgique (AELB) s’est procuré le texte de l’avant-projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, qui vise à transposer la directive européenne EUCD (European Union Copyright Directive), de mai 2001, en droit français.
Dans un communiqué intitulé "Moins de copie privée et des mouchards sur les oeuvres", Eucd.info dénonce la mise en place de la traçabilité des oeuvres et la limitation du nombre des copies privées autorisées par le nouveau texte. Eucd.info est une émanation de la Fondation pour le logiciel libre France (FSF France). Inscrite dans l’avant projet de loi, la création d’un collège de médiateurs pour encadrer la mise en oeuvre de la future loi ne rassure pas Loïc Dachary, fondateur d’Eucd.info et trésorier de la FSF France : "Une mauvaise loi ne se corrige pas en augmentant le nombre de personnes chargées de l’appliquer", dit-il.
Qu’est-ce que l’EUCD ?
Il s’agit de l’European Union Copyright Directive, une directive européenne qui doit être transposée en droit français. Son objectif est d’interdire le contournement des mesures techniques de protection de toute oeuvre encadrée par le droit d’auteur (images, sons, textes, contenus), sauf les logiciels. Dans les faits, elle place le contrôle de la copie privée dans les mains des éditeurs.
En France, l’avant-projet de loi a été soumis début décembre au CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique), créé par le ministère de la Culture et de la Communication. Ce conseil est composé de représentants de différents ministères, d’éditeurs de contenu multimédia, de sociétés d’auteurs ainsi que de grands éditeurs de logiciels, représentés par le BSA (Business Software Alliance). Deux associations de consommateurs y sont également réprésentées. Mais elles ne se sont pas prononcées sur cet avant-projet de loi. Le CSPLA est le club des riches et des marchands de contenus.
En matière de copie privée, qu’est-ce qu’un consommateur aura encore le droit de faire dans le cadre de la future loi ?
Pas grand chose. En achetant un DVD, on achète le droit de le regarder, un point c’est tout. La loi vise à interdire le fait - si l’on n’arrive pas à visionner un film - de créer un
programme pour y parvenir. La seule chose que l’on peut faire dans ce cas, c’est acquérir un
logiciel estampillé par celui qui a vendu le contenu. Il est contraire aux lois sur la concurrence d’obliger un consommateur à acquérir tel ou tel logiciel pour visionner un film, parce qu’il s’agirait de "vente liée."
Aux USA, où des mesures similaires ont été adoptées en 1998 avec le DMCA (Digital Millennium Copyright Act, ndlr), une personne qui avait développé un programme pour visionner des films sous Linux a été condamnée. De plus, si les logiciels estampillés par l’éditeur du DVD ne permettent pas de faire de copie privée, je ne pourrais plus en faire : Avec l’EUCD, la copie "privée" sera contrôlée par un tiers : c’est un oxymoron !
Pour vous, l’EUCD va plus loin que le DMCA américain ?
Le plus grave, ce sur quoi il faut vraiment s’élever, c’est que le projet de loi rend
coupable de contrefaçon toute personne qui transmettrait de l’information permettant
éventuellement de contourner une mesure technique en tout ou partie. Un chercheur qui écrirait un article sur les techniques de cryptage de DVD, à des fins de recherche,
deviendrait coupable de contrefaçon. C’est ce que propose le projet loi : c’est énorme. C’est pire que le DMCA, qui lui, prévoit des dérogations pour les chercheurs.
Le projet de loi pose aussi des questions de sécurité. Supposez qu’on trouve une faille dans le système de protection d’un DVD, qui permettrait de créer ou de diffuser des virus : un chercheur n’aura tout simplement pas le droit d’en parler. Au début, je me suis dit que les membres du CSPLA s’étaient trompés, qu’ils ne l’avaient pas fait exprès. Mais en lisant leurs
délibérations, on s’aperçoit que la plupart des intervenants se sont élevés contre
les dérogations en faveur au monde de la recherche. Les "majors" sont contre le fait que des chercheurs indépendants travaillent sur les techniques de protection contre le piratage.
Les restrictions imposées par l’EUCD touchent tous les corps de métiers en rapport avec l’édition de contenu. La loi va favoriser l’émergence de situations de monopole. Si une société veut lancer un procédé concurrent de lecteur de DVD, il lui serait interdit de le faire, à moins d’accepter les conditions contractuelles de la société qui a inventé la technique.
Qu’est-ce que le projet de loi apporte de nouveau par rapport à la directive européenne EUCD ?
La limitation du nombre de copies privées. Difficile de savoir jusqu’où s’étend cette limitation : encore une fois, c’est l’éditeur qui décide. Imginons que cette limite s’arrête au nombre de deux. J’ai un lecteur de MP3 qui peut contenir 30 chansons. Je les télécharge. Si j’en efface et que je veux par la suite les y remettre, je pourrais ne pas y être autorisé. Dans la pratique, la copie privée risque de devenir impossible.
Autre exemple : je prends un DVD, qui a un identifiant. Ma compagne n’a pas d’ordinateur, mais un lecteur de CD, qui a une capacité inférieure. En le transformant et en le compressant, j’enlève nécessairement l’identifiant de l’oeuvre, et je me rends coupable de contrefaçon. Alors que je voulais juste le faire lire à mon amie...
Vous dénoncez également la traçabilité des oeuvres...
Le but de la traçabilité est de lutter contre la contrefaçon. Mais ça permet à l’éditeur de faire bien d’autres choses, notamment la mise en fichier des préférences culturelles des clients. Cela revient à considérer chacun comme un délinquant potentiel. Si je vends un produit d’occasion, que se passe-t-il ? Si mon acheteur commet ensuite un délit de contrefaçon, je pourrais aussi en être jugé coupable. Autrement dit, je ne peux plus rien revendre d’occasion sans risquer d’être, des années plus tard, accusé de contrefaçon. C’est scandaleux, mais c’est ce que les majors veulent, parce que le marché de l’occasion ne leur rapporte rien.
Que pensez-vous de l’idée d’un collège de médiateurs, chargé d’encadrer la mise en place de la loi ?
Il s’agit d’une technique de communication, et non d’une solution : c’est admettre que la loi posera problème. Comme le CSPLA ignore quelles seront les conséquences de la loi, il se décharge de ses responsabilités sur un médiateur. C’est un cautère sur une jambe de bois. Certes, le médiateur règlera les problèmes, mais ces problèmes, on les
connaît déjà depuis la mise en place de la DMCA aux Etats-Unis. Mon ordinateur ne fonctionne qu’avec des logiciels libres, et avec cette loi, je ne pourrai plus utiliser le logiciel qui me sert, depuis des années, à lire mes DVD, car ce logiciel deviendra hors la loi. Qu’est-ce qu’un médiateur, nommé par décret, pourra bien faire pour résoudre mon problème ?