La gestion des fichiers policiers laisse à désirer, et les demandes d’accès à de tels fichiers ont doublé depuis l’an passé, selon Michel Gentot, président de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Michel Gentot défend mordicus le contôle des fichiers de police par la Cnil. (DR)
Le texte de son intervention lors de la conférence de printemps des commissaires à la protection des données, publié le 15 avril dernier, n’est pas des plus tendres avec la façon qu’ont les forces de l’ordre de surveiller et de ficher les citoyens. Intitulé "La Cnil et les fichiers de sécurité publique", ce discours a été donné devant les commissaires, réunis à Séville les 3 et 4 avril dernier.
Dans l’intervention, on apprend que, depuis sa création en 1978, la Cnil a reçu 7523 demandes d’accès aux fichiers policiers (dits également "de sûreté", ou "de sécurité publique"), et que l’année 2002 a vu "une véritable ’explosion’ du nombre des demandes" : 1264, soit deux fois plus qu’en 2001.
Bien que le rapport ne le mentionne pas, une partie de "l’explosion" du nombre de demandes pourrait être due au lancement, en mars 2002, de renseignementsgeneraux.net, un site web expliquant comment et pourquoi "faire valoir ses droits en matière de fichage policier".
Jusqu’à 42 % d’erreurs
Sur les 175 personnes fichées dans les bases de données nominatives de la police judiciaire, il a fallu procéder, dans 64 cas (soit 37% des fichés) à des "mises à jour, voire à la suppression de signalements erronés ou manifestement injustifiés".
Pour ce qui est des Renseignements généraux (RG), 236 personnes (sur 1012 requérants) étaient effectivement fichés. 36 d’entre elles (soit 15%) n’ont pu accéder à leur fichier, comme le prévoit la loi, qui interdit la communication de telles informations lorsqu’elle serait de nature à "nuire à la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique".
Selon la Cnil, quinze des requérants ont exercé leur droit de rédiger "une note d’observation insérée dans le dossier". Elle annonce aussi "qu’il a été procédé à la suppression partielle de cinq dossiers et à la suppression totale de huit dossiers".
Pour ce qui est du Système d’informations Schengen (SIS), 650 des 1855 requérants (depuis 1995) étaient réellement fichés, et 273 signalements ont été
supprimés (soit 42% des dossiers).
"Pot commun" servant aux polices européennes dans la lutte contre l’immigration illégale et les trafics, le SIS est par ailleurs soupçonné d’être utilisé pour surveiller les manifestants "altermondialistes". L’ONG européenne de défense des libertés Statewatch a récemment publié un rapport soutenant cette thèse.
En janvier dernier, la Fédération informatique et libertés (FIL), avait quant à elle publié la liste des erreurs recensées par la Cnil à l’occasion des investigations qu’elle avait effectuées dans les fichiers policiers (voir notre article). On y apprenait que "la Cnil a fait procéder dans 25 % des cas à des mises à jour, ou même à la suppression de signalements erronés ou manifestement non justifiés".
"La Cnil attend toujours..."
Au-delà des statistiques, le président de la Cnil met également en question la légalité des fichiers policiers.
Michel Gentot note, par exemple, que ce n’est qu’en décembre dernier que la gendarmerie nationale s’est décidée à présenter à la Cnil un projet de création de son fichier d’enquêtes judiciaires (Judex). Un fichier "dont la Cnil a de bonnes raisons de savoir qu’il fonctionnait depuis de nombreuses années", souligne-t-il, pince-sans-rire.
Christian Estrosi, rapporteur du projet de loi sur la sécurité intérieure (LSI), avait lui-même reconnu, à l’Assemblée nationale, que Judex n’était "fondé sur aucun texte de droit". La Cnil a finalement, en janvier dernier, "régularisé" le fichier.
Dans la liste des fichiers problématiques figure également le Stic (Système de traitement des
infractions constatées), le précurseur policier de Judex censé faciliter la recherche des auteurs d’infractions afin d’établir des statistiques.
Après avoir été utilisé pendant six ans, aux marges de la légalité, alors même que la Cnil et le Conseil d’Etat s’y étaient opposés, le Stic a finalement été légalisé en juillet 2001 par les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Mais, déplore Michel Gentot, "la Cnil attend toujours la mise en place du dispositif de consultation promis par le ministère de l’Intérieur".
L’Etat veut se mettre à l’aise
Michel Gentot regrette encore de n’avoir pas été entendu à l’occasion de l’adoption de la loi sur la sécurité intérieure, le 18 mars dernier : l’utilisation de fichiers policiers dans le cadre d’enquêtes administratives (effectuées lors des recrutements pour certains emplois publics, ou encore pour l’attribution d’un titre de séjour) constituerait "une réelle atteinte aux principes du secret de l’instruction et de la présomption d’innocence, sans compter un détournement de la finalité première de ces fichiers". La loi informatiques et libertés, qui régit la Cnil, interdit ce genre de dérive.
La refonte en cours de cette loi pose d’ailleurs elle aussi problème. La directive européenne de 1995 sur le traitement des données personnelles aurait dû être transposée en droit français depuis 1998, mais ne l’a pas encore été, ce qui place la France une fois de plus en porte-à-faux avec la légalité, européenne cette fois.
Le projet de refonte de la loi informatique et libertés, adopté au Sénat le 1er avril dernier, repassera à l’Assemblée le 14 mai prochain. Il prévoyait initialement de donner toute latitude à l’Etat en matière de fichiers "intéressant la sûreté de l’État, la défense, la sécurité publique ou la répression pénale, ainsi que les fichiers utilisant le numéro [de sécurité sociale, Ndlr] ou portant sur la quasi-totalité de la population". Ces fichiers policiers auraient donc pu être avalisés, avec ou sans l’approbation de la Cnil.
Le contrôle des fichiers de police est, pour Michel Gentot, "la ’pierre de touche’ de l’indépendance de la Cnil et la mesure de la soumission de l’Etat
au droit commun". La refonte de la loi dira si, oui ou non, l’Etat respecte le droit à la vie privée.