Des professeurs de Stanford envisagent une riposte juridique contre le fournisseur d’accès Verio pour avoir abusivement suspendu, de manière temporaire, l’hébergeur alternatif Thing.net au motif que ce dernier accueille un site critiquant le géant américain de l’industrie chimique Dow. Pour ces juristes spécialisés, Verio n’avait pas le droit de céder aux pressions de Dow et de censurer un site d’activistes en tenant Thing.net pour responsable.
Le 4 décembre 2002, Verio a décidé de couper le réseau de l’hébergeur new-yorkais, qui lui loue sa bande passante. Le fournisseur d’accès demandait que Dow-Chemical.org, un site parodique et critique mis en ligne par le collectif d’activistes The Yesmen, soit fermé.
Verio accédait ainsi aux demandes du service juridique de Dow, mis en cause par les activistes pour sa gestion des conséquences de la catastrophe de Bhopal. En 1984, un accident survenu dans une usine chimique du groupe américain Union Carbide, depuis racheté par Dow, avait fait des milliers de morts dans une région d’Inde qui reste encore aujourd’hui polluée.
"Nous n’avions pas le choix, nous avons retiré le site. Verio a rétabli le service au bout de 15 heures", explique Walter Palmetshofer, administrateur système de Thing.net, lancé en 1991 sous forme d’ONG dans le milieu politique et artistique. "Mais ce n’était pas légal de nous couper le réseau sans décision de justice et sans nous donner de délai. C’était une sorte de frappe préventive."
Thing.net reproche aussi à Verio d’avoir déconnecté la totalité des 300 sites qu’il héberge, alors qu’il était techniquement possible de n’en suspendre qu’un. "C’est ce qu’ils avaient déjà fait en décembre 1999 quand nous hébergions le site de la campagne Toywar, la campagne médiatique de défense du collectif d’artistes Etoy, attaqué en justice par le marchand de jouets en ligne américain Etoys", rappelle Walter Palmetshoher.
Alertés par le communiqué de presse que le collectif d’artistes-activistes RTmark.com a envoyé à 10 000 journalistes en décembre, des professeurs de Stanford ont décidé d’apporter leur soutien juridique à Thing.net. "Nous sommes inquiets que Verio considère un hébergeur comme responsable de la censure du contenu mis en ligne par un de leurs clients", explique Jennifer Granick, juriste à Stanford et présidente du département Center for Internet and Society. "Un hébergeur n’a pas à jouer les chiens de garde ou les Big Brother", souligne-t-elle.
"Légalement, le Communications Decency Act nous montre que le Congrès américain soutient le principe d’immunité des hébergeurs dans les cas où un tiers affirme être diffamé. De plus, les provisions dites ’Safe harbour’ du Digital Millenium Copyright Act précisent qu’un hébergeur n’a pas à fermer un site, sauf si cela lui a été notifié de façon propre", expose Jennifer Granick.
La juriste de Stanford estime que Verio n’a pas alerté Thing.net selon les procédures légales de mise en demeure, qui prévoient un acte sous serment et une procédure de délai en cas de réponse. "Dans ce genre d’affaire, censurer est toujours tentant mais ce n’est pas une décision sage", estime Jennifer Granick, qui a fait de cette affaire un cas pratique pour les 8 élèves de son cours intitulé "Cyberlaw clinic".
Thing.net et Jennifer Granick n’ont pas encore décidé de la forme que prendra la contre-attaque contre Verio. Ils n’ont pas encore déposé de plainte et examinent aussi la voie de la négociation. La stratégie pourrait être d’attaquer en demandant au choix des dommages et intérêts ou un engagement de Verio. "Le préjudice est réel, puisqu’outre la liberté d’expression, l’interruption du service a fait perdre des clients à Thing.net, tant existants que potentiels", affirme Jennifer Granick, qui pense que la riposte prendra dans tous les cas plusieurs mois.
Dans l’urgence, Thing.net cherche de toute façon à migrer vers un autre fournisseur que Verio. Fin janvier, ce dernier s’est en effet appuyé sur les détails de ses contrats commerciaux pour annoncer qu’il suspendrait définitivement le réseau de Thing.net à partir du vendredi 14 mars. "Ce n’est pas facile de trouver un autre gros fournisseur, parce que nous avons une réputation critique et politique", souligne Walter Palmetshofer. Et d’ajouter que la procédure est d’autant plus dure que Thing.net était à l’origine client de Spacelab.net mais que ce petit fournisseur a été racheté par Verio en 1999.
Le site de Thing.net:
http://www.thing.net/
Le site de Jennifer Granick (Stanford):
http://www.granick.com/
Le site des Yesmen contre Dow:
http://www.dowethics.com/bhopal.com/
Le site officiel de Dow Chemical:
http://www.dow.com
Center for Internet and Society (Stanford):
http://cyberlaw.stanford.edu/