Andy est un artiste d’un autre genre : il se fait passer pour ce qu’il n’est pas, pour mieux faire passer son message mi-artistique, mi-politique.
Surprise devant l'assistance en cravate...americanmovie |
"Attention : faux site de l’OMC (http://www.gatt.org) trompeur et nuisible pour les utilisateurs sérieux." C’est avec ce communiqué un peu timide que
l’Organisation mondiale du commerce voulait, le 30
octobre dernier, mettre le monde en garde contre une
bande d’imposteurs qui s’était déjà payé sa tête à
plusieurs reprises, et avec la manière : les Yesmen. À
la tête de ce collectif de quelques activistes
répartis entre l’Europe et les ...tats-Unis, Andy, un
Américain souriant de 37 ans, qui est venu s’installer
à Paris au printemps "après avoir passé dix ans à
éviter les dotcoms à San Francisco"...
L’avertissement de l’OMC fait franchement sourire
Andy, qui s’est déjà fait passer trois fois en un an
pour un speaker officiel de l’OMC lors de
représentations officielles.
Le schéma est toujours le même : les organisateurs
envoient par erreur un mail à Gatt.org pour inviter
Mike Moore, le vrai président de l’OMC à s’exprimer.
Andy répond que Mike Moore est indisponible, mais
qu’il enverra un autre membre de l’OMC en
remplacement. Andy troque son jean-tee-shirt-baskets
pour un costume noir et vient délivrer un discours
poignant d’ultralibéralisme, choquant et délirant, à
un public qui ne bronche pas.
La première fois,
c’était à Salzbourg, en octobre 2000, devant 50
membres du Center for International Legal Studies, la
seconde fois à Paris, le 19 juillet 2001, lors d’un
débat sur la mondialisation organisé par une chaîne
câblée américaine, où Andy s’est retrouvé en duplex
face au chairman d’Accenture et au dirigeant d’une ONG
américaine anti-OMC. La dernière apparition a eu lieu
lors d’une conférence sur le futur de l’industrie
textile, organisée par l’université technique de
Tampere, en Finlande, face à 150 officiels et
businessmen.
Sidérés de ne pas être démasqués, les
Yesmen ont forcé le trait. Après avoir traité Gandhi "d’idiot protectionniste", proposé la privatisation de
l’éducation pour que les enfants des
anti-mondialisation puissent lire l’économiste libéral
Adam Smith, et critiqué Lincoln pour avoir aboli
l’esclavage au ...tats-Unis au lieu de laisser le libre
échange le transformer en sous-traitance dans le
tiers-monde, Andy a atteint son zénith en Finlande.
Couillu, il a terminé son speech en combinaison
moulante dorée, affublée d’un pénis géant avec écran à
cristaux liquides, soit-disant "un costume de loisirs
pour manager du futur" mis au point par l’OMC.
Le
tonnerre d’applaudissements n’a fait que prouver une
fois de plus le message d’Andy : "On peut dire
n’importe quoi et prôner les mesures les plus fachos
quand on est l’OMC".
Dans sa chambre du 11e
arrondissement parisien, on comprend qu’Andy n’ait pas
besoin de grand-chose pour raviver, avec ses
complices, une tradition militante plus proche des
Marx Brothers que de la CGT : son bureau accueille un
ordinateur portable, un Palm, une caméra numérique et
des disques durs, sur le lit traîne un numéro du Monde
Diplomatique et au porte-manteau est accroché le
masque à gaz des manifestations contre le G8 à Gênes.
Pour se protéger, le héros de la dérision
institutionnelle se cache derrière divers pseudonymes,
notamment parce qu’il est informaticien pour un grand
opérateur téléphonique français. En rentrant du
boulot, il tient le site des Yesmen et prépare
l’avenir avec d’autres activistes américains et
européens. "Il faut qu’on aille encore plus loin. La
prochaine fois, on sera obligé de parler de nazisme",
lance Andy avec malice. La prochaine fois ? Ah oui,
les Yesmen viennent de recevoir une nouvelle
invitation officielle et feront encore parler d’eux,
en mai prochain.
(une enquête parue dans Transfert magazine n°20).