Deux hébergeurs internet, poursuivis par le chanteur Jean Ferrat et ses producteurs, ont été mis hors de cause par le tribunal de Nanterre. On leur reprochait d’avoir affiché, sans droits, des chansons de l’artiste.
Tel un retour de flamme, une vieille affaire de responsabilité d’hébergeurs a trouvé sa conclusion, lundi 22 octobre, au tribunal de Nanterre. Le juge des référés a débouté le chanteur Jean Ferrat et ses producteurs, les sociétés Alleluia et Teme, qui réclamaient plus d’un million de francs de réparation à deux hébergeurs, Ifrance et l’américain Xoom.com. Le premier avait accueilli un site où étaient reproduits les textes de chansons de Ferrat (en réalité des poèmes de Louis Aragon, également exploités par Alleluia). Le second hébergeait des pages offrant des morceaux en téléchargement. Tous deux avaient été assignés en juin 2000, sans que les plaignants n’aient recherché l’identité des auteurs des sites. Le tribunal a finalement condamné Ferrat, Alleluia et Teme à verser 10 000 francs à Ifrance et 5 000 francs à Xoom, pour les frais de justice. Le trio a donc perdu l’une des deux affaires portées devant le juge, Ifrance étant poursuivi pour un autre site, cette fois aux côtés de son auteur.
Obligation de vigilance
Dans le cas présent, le juge a rappelé que la loi du 1er août 2000, qui limite sérieusement la responsabilité des hébergeurs, ne pouvait être prise en compte puisqu’elle était entrée en vigueur après les faits. Pour lui, quoi qu’il en soit, "il n’est pas démontré que les sociétés ont failli à leur obligation de vigilance et de prudence quant au contenu des sites accueillis". Autrement dit, il retient les arguments de Ifrance qui avait plaidé que son contrat d’hébergement prohibe les contenus contrevenant aux droits d’auteur. Il s’appuie aussi sur le fait que l’hébergeur, dès réception de l’assignation, avait coupé l’accès au site de façon préventive. La coupure préventive n’a jamais été incluse dans les textes de loi. Tout au plus Catherine Tasca, ministre de la Culture, la mentionnait-elle comme une éventualité lors des débats sur la loi du 1er août 2000. Dans le circuit de l’édition traditionnelle, la pratique reviendrait à ce qu’un libraire retire un livre des rayonnages avant même une décision judiciaire. "Nous coupons tout de même en fonction du contenu de l’assignation", précise Sandrine Léonardi, responsable juridique d’Ifrance. Mais, d’après Jean-Christophe Le Toquin, délégué général de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA), dont Ifrance n’est pas membre, les hébergeurs, bien souvent, n’ont pas besoin de se poser beaucoup de questions lorsque des sites contreviennent aux droits d’auteur : "La plupart des sociétés prévoient cette éventualité dans leurs conditions d’utilisation du service."
Attaques déguisées
"Ils peuvent aussi, poursuit-il, fermer un site qui proposerait le dernier album de Johnny Halliday, parce qu’il crée un trafic de connexion supérieur à ce qui est autorisé pour un site personnel." Et devant un juge, la coupure préalable apparaît encore aujourd’hui comme un gage de sérieux. Mais, comme le reconnaît le délégué permanent de l’Afa, les attaques en propriété intellectuelle sont souvent une façon déguisée de s’en prendre aux propos d’un site. "Dans ce cas, qui reste résiduel, l’hébergeur peut prendre le risque d’aller jusqu’au procès", estime Jean-Christophe Le Toquin. Ifrance, pour sa part, affirme agir "avec bon sens". Quant aux auteurs du site, ils ont tout intérêt à voir leurs pages fermées tout de suite, comme en témoigne l’action bancale intentée par Jean Ferrat et ses producteurs, qui ont attendu... un an et quatre mois pour obtenir une décision du juge.