Les amendements contestés par les défenseurs des droits de l’homme et de la vie privée ont été votés par le Sénat. Au menu : anticonstitutionnalité, racolage, mensonge, flou juridique et dommages collatéraux. Examen final par l’Assemblée le 31 octobre.
La Loi sur la Sécurité Quotidienne (LSQ) est passé au Sénat.
Non seulement l’ajout, "en urgence", de nouveaux amendements serait,
selon les juristes, anticonstitutionnel, mais certains textes pourraient eux-mêmes
être jugés
contraires à la Constitution (. L’obligation, par exemple, de déchiffrer
les messages cryptés, rajoutée in extremis alors qu’elle n’avait
pas été proposée par le ministère de l’Intérieur,
porteur du projet. Tarif : trois d’emprisonnement et de 45 000 F _ d’amende pour
quiconque a connaissance de la convention secrète de déchiffrement
... susceptible d’avoir été utilisé pour ... un crime ou
un délit. Et qui refuse de remettre ladite convention aux autorités
judiciaires ou de la mettre en oeuvre". L’auto-incrimination _ le procédé
proposé par le texte de loi _ est contraire aux conventions relatives aux
Droits de l’Homme, mais les sénateurs ne s’en offusquent aucunement. Jean-Pierre
Schosteck, rapporteur du texte au Sénat, avance ainsi que "la gravité
de la situation actuelle et la modification du contexte dans lequel se déroulait
la discussion du projet de loi justifie le recours à des procédés
exceptionnels".
Diabolique Internet
La manière dont les amendements sont justifiés diabolise l’internet.
Exemple : "les événements récents ont démontré
que l’utilisation des moyens de télécommunications, des réseaux
numériques et de l’internet étaient au cœur des échanges
d’informations entre les membres d’un réseau terroriste". Ou encore
: "la transmission de messages cryptés par la voie de l’internet s’est
révélée être une forme privilégiée de
communication entre membres d’un réseau terroriste".
Aux Etats-Unis, Le FBI lui-même reconnaît que, si certains d’entre-
eux ont bel et bien échangés quelques dizaines d’e-mails, les
présumés terroristes ne se sont pas servis de la crypto , ce
qui n’a pas empêché nombre de médias de tomber eux aussi dans
le panneau et de raconter tout et n’importe quoi (voir Terrorisme
: les dessous de la filière porno).
Et la Poste ?
Les sénateurs ont voté la conservation pendant un an par les fournisseurs d’accès des données de connexion, alors que la CNIL n’en réclamait que 3 mois. Le détail desdites données n’est pas précisé, le texte en renvoyant la définition à un décret. Si, a priori, elles ne concerneront pas les "correspondances privées", à savoir le contenu des e-mails, on ne peut que s’inquiéter de ce que le décret ne permette de conserver le détail des fichiers qui ont été publiés sur le web ou par FTP, par exemple, et qui ne relèvent pas, eux, de la correspondance privée. Un peu comme si l’on plaçait une caméra de vidéosurveillance sur votre tête dès que vous sortiez de chez vous. Au nom de la lutte contre le terrorisme, bien sûr. L’utilisation du courrier postal dans le cadre du "terrorisme biologique" à l’anthrax entraînera-t-il le gouvernement ou les députés à demander à la Poste d’enregistrer, pendant un an, le détail de qui écrit à qui, quand, et d’où ?
Souriez, vous êtes coupable !
En attendant son passage à l’Assemblée, il peut être intéressant de relever les "dommages collatéraux" que la LSQ entraînera. Imaginons donc qu’un malfaisant laisse entendre à la police que vous êtes le complice d’un terroriste. Et envoie un message chiffré à votre adresse e-mail, quand bien même vous n’utilisiez pas la crypto. Les policiers débarquent dans votre logis pour le perquisitionner " sans l’assentiment de la personne chez laquelle " la perquisition a lieu . Qu’à cela ne tienne. Ils ont le droit d’entrer et de saisir tout ce qui sied à leur enquête, conformément à l’article 76-1 voté par le Sénat. A l’intérieur de votre ordinateur se trouve ainsi le message chiffré que le corbeau vous a envoyé. Au titre de l’article 434-15-2, vous êtes tenu de déchiffrer le message. Sauf que, bien évidemment, vous n’en avez pas la clef de déchiffrement, puisque vous n’utilisez point la crypto. Mais ce n’est plus à la justice de démontrer votre culpabilité, mais à vous de prouver votre innocence. Le corbeau ayant laissé entendre que, dans ce fichier crypté se cachent les détails d’une action terroriste à venir, ce n’est pas 3 ans de prison et 45 000 F_ d’amende qui vous pend au nez, mais 5 ans de prison, et 75 000 F _. Le juge ayant la possibilité d’en appeler "aux moyens de l’Etat couverts par le secret de la défense nationale", le message chiffré est transmis aux "briseurs de codes" militaires. Dans l’hypothèse où ils arrivent à le déchiffrer et à démontrer que vous étiez bel et bien en passe de commettre un attentat, vous n’avez même pas le droit de contester les conclusions auxquelles ils sont parvenus, puisque "les décisions judiciaires prises en application du présent chapitre ne sont susceptibles d’aucun recours". Vous voilà coincé.
STIC : le retour de la revanche
Et si, dans sa grande mansuétude, le juge vous tient quitte de tout méfait,
n’espérez pas pouvoir travailler dans un aéroport, une centrale
nucléaire, une société de gardiennage ou quelque autre emploi
relevant peu ou prou d’une mission " touchant à la sécurité
des personnes et des biens ". Le gouvernement a en effet décidé
de vérifier "l’honorabilité" et la "moralité"
de ceux à qui seront confiées de telles missions : l’article 17-1
de la LSQ exige en effet que des agents de la police ou de la gendarmerie vérifie,
avant que de confier de telles missions, le fichier STIC du postulant. Ce "Système
de Traitement des Infractions Constatées", entretenu par les diverses
forces de l’ordre, en toute illégalité, depuis 1995, mais discrètement
légalisé cet été, avait valu un Big
Brother Awards au ministère de l’Intérieur l’an passé.
Listant crimes, délits et contraventions de toutes sortes (ainsi que les
affaires dont vous avez été témoin, et même victime),
il n’est pas mis à jour lorsque l’on est blanchi ou disculpé. Le
doute restera donc entier, et vous serez black-listé à vie. Au nom
de l’"anti-terrorisme"..