La webtélé a obtenu du tribunal de commerce de Paris un délai de continuation de six mois mais deux tiers des effectifs seront licenciés.
"Extraordinaire", "exceptionnel", "sublimissime". Alessandro di Sarno, le frétillant animateur de Canalweb, ressasse à loisir ses trois adjectifs fétiches : il est 13h35, ce lundi 8 octobre, lorsqu’il laisse à Jacques Rosselin, le PDG de Canalweb, le soin d’annoncer en direct qu’il a obtenu du tribunal de commerce de Paris un délai de continuation de six mois. Mais la webtélé doit se résoudre à un plan social saignant. La société, qui comptait une centaine de personnes, devra licencier les deux tiers de ses effectifs, et ne gardera qu’une trentaine d’employés. Elle devra au passage se recentrer sur sa plateforme b-to-b "Canalweb corportate Media".
Pantalonnade
L’attente aura été longue. Liquidation ou sursis ? La question se posait déjà à dix heures du matin sur l’antenne de CanalWeb, qui avait promis à ses spectateurs de filmer en direct les péripéties de la journée. Quelques fidèles connectés sur le chat, et des interludes musicaux émaillaient la matinée, avec de temps en temps un "flash spécial" en direct du tribunal de commerce. À 12h09, "tout est encore possible", selon Allessandro. Filmée derrière son bureau, Mathilde, chargée de recuter les invités des émissions, fait patienter les curieux. "Je suis pressée d’être à ce soir", marmonne-t-elle toute seule, oubliant un temps les internautes voyeurs. À 12h36, les portes de la Chambre du conseil se ferment. "Nous attendons un verdict qui pourra changer la face de l’audiovisuel en général", assène Alessandro avec son emphase habituelle. Qui redemande l’antenne à 12h45. "Je me sens très seul", explique-t-il au public et aux internautes du chat. Second degré, soit. Mais est-on vraiment en train de décider du sort d’une entreprise ? La pantalonnade a quelque chose de pathétique.
Les zygomatiques fonctionnent
À 13h35, la décision tombe sous les bravos. Dans la cohue, on ne retient que "plan de continuation". Oubliant au passage un peu vite que seul un tiers des salariés pourra survivre pendant six mois. Sur le chat, un internaute visiblement américain parle de finance, d’ouverture des marchés. "Le capitalisme est patriotique, explique-t-il. L’achat à bas prix aussi." Quelques rires fusent, mais est-ce bien de l’humour ? On pense à ces "charognes", dont Alessandro parlait ce matin, et qui auraient pu racheter Canalweb pour une bouchée de pain si cette dernière avait été liquidée. De retour aux studios, Massimo n’en peut plus. Il s’époumonne à propos de ce "redressage formidable", de ce fantastique "redressement fiscal" qu’il confond avec redressement judiciaire. Sur le chat, gentille comme à son habitude, Stig, la modératrice, est à peu près la seule à garder la tête sur les épaules. Consciente de son sort, prête à partir pour d’autres aventures, elle répond sobrement que oui, Canalweb va survivre, mais qu’elle ne gardera qu’une plate-forme technique et un tiers de ses effectifs. Qu’importe. L’exubérant Alessandro répand ses adjectifs avec le geste auguste du semeur, y’a de la joie, le verdict est positif. On aura même droit au reportage : une journée de Jacques Rousselin au tribunal de commerce. Le corps est exsangue, mais les zygomatiques fonctionnent encore. Jusqu’à quand ?