Pour la première fois, la Cour de cassation a cassé un jugement d’appel mettant en cause l’utilisation de l’informatique à des fins privées, par un salarié. Interview d’Hubert Bouchet, syndicaliste et vice-président délégué de la CNIL.
Le 2 octobre, la Cour de cassation a renvoyé dans ses buts la cour d’appel de Paris qui avait validé le licenciement, par la société Nikon, d’un ingénieur. Une partie des motifs utilisés par l’entreprise résidait dans le fait que son salarié avait employé, à des fins personnelles, son matériel informatique, notamment pour échanger des messages électroniques.
L’arrêt de la Cour de cassation constitue-t-il un tournant pour le monde du travail ?
Il confirme les souhaits de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. C’est un coup de sifflet indiquant que, depuis la mobilisation sur la vie privée dans les entreprises, avec les lois Auroux en 1982, on ne peut pas s’asseoir sur le sujet, au motif de l’irruption des nouvelles technologies.
Quelle évolution peut-on envisager sur le sujet ?
C’est un signe qu’il faut le saisir. Il faut rediscuter pour retrouver un point d’équilibre entre le juste droit des employés et celui des entreprises à protéger leurs biens, leurs secrets de fabrication par exemple. À eux d’inventer des modalités, d’inventer des droits.
Dans certaines entreprises, il existe des chartes d’utilisation des nouvelles technologies, notamment de l’e-mail. Vont-elles être remises en cause ?
Il y a deux sortes de chartes : celles qui sont signées individuellement par le salarié, comme un avenant à un contrat de travail et celles qui constituent un accord d’entreprise autonome, intégrées au règlement intérieur. Les patrons seraient bien avisés de revoir leurs chartes, et les salariés de saisir l’occasion. Les centrales syndicales vont s’en préoccuper, bien qu’elles ne disposent pas encore de gens très formés sur le sujet... Dans le champ du travail physique, les forces s’additionnent. Dans le travail en réseau, c’est le maillon faible qui décide de la résistance dans le réseau !
Faudrait-il légiférer clairement ?
Tout ça s’autorégulera, comme on l’a vu pour l’utilisation du téléphone dans les entreprises. Le fondement de l’efficacité dans l’entreprise, c’est la confiance réciproque. On n’en est plus au temps où les ouvriers mécontents cassaient les machines ! Mais l’organisation du travail dans nos sociétés est technologiquement datée. Vouloir tout y surveiller a de moins en moins de sens. C’est au moment où on a le plus de moyens de surveillance qu’on en voit les limites : on ne fait pas marcher les neurones à coup de pied dans le cul... Il y a un point d’équilibre à trouver entre surveillance nécessaire et superflue. Si on le dépasse, on n’aboutit qu’à déclencher une résistance passive chez les salariés.
Le dossier " relations du travail et internet " sur le site du Forum des droits sur l’Internet:
http://www.foruminternet.org/groupe...
Sur le site de la Cour de cassation, les conclusions de l’avocat général et l’arrêt de la Cour:
http://www.courdecassation.fr/agend...