Bien connus depuis la révélation de l’existence d’Echelon, les satellites-espions servent aussi et surtout à l’imagerie militaire. Et la France, indépendance oblige, n’est pas en reste... Peut-être un peu trop, même.
Et si les satellites espions français s’invitaient dans la prochaine campagne présidentielle ? Il se pourrait bien, en effet, que le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, adopté le 31 juillet en Conseil des ministres, ne soit examiné par les députés qu’au... premier trimestre 2002. Dans ce plan quinquennal de 525 milliards de francs, une large place est accordée au renforcement des moyens de renseignement. Pour "soutenir le développement de l’Europe de la défense", notamment par le biais d’un système européen de renseignement, il s’agit de poursuivre l’effort entrepris depuis la fin des années 70 pour doter la France d’un système fiable et indépendant d’espionnage satellitaire. Le projet de loi évoque ainsi le lancement de Syracuse III, un satellite de communications sécurisées (Syracuse II ayant été l’un des rares à avoir fait les frais du bogue de l’an 2000) et surtout celui d’Helios II.
Tour de table européen
Le renseignement militaire attend avec impatience ce programme. Composé tout comme son prédécesseur, Hélios, de deux satellites dédiés à l’imagerie militaire, Hélios II permet de prendre davantage de clichés, plus rapidement et, surtout, il fonctionne de nuit. D’abord prévu en 2000, son lancement ne devrait pas intervenir, au mieux, avant... 2004. C’est que le programme coûte cher : 14 milliards de francs contre 9,5 milliards pour son aîné. Initié par la France, Hélios était soutenu financièrement par l’Italie et l’Espagne, qui assumaient respectivement 14,1 % et 7 % du budget en contrepartie d’un accès à certains clichés. Le tour de table pour financer son successeur est visiblement plus difficile à boucler. La Belgique a confirmé, le 13 juillet dernier, qu’elle en ferait partie, à hauteur de 2,5 %. L’Espagne pourrait prolonger son partenariat. Reste à convaincre l’Allemagne de la nécessité de faire converger Hélios II et SAR Lupe, le système allemand composé de quatre satellites radar. Mais les négociations intra-européennes se heurtent au lobbying des ...tats-Unis, au montant élevé des frais à engager, mais peut-être aussi à l’attitude des services de renseignement français.
Des services français radins
Ces derniers rechignent en effet à partager des informations, obsédés qu’ils sont par le "secret défense". Ce qui leur a valu d’être sévèrement épinglés dans le rapport d’information "Des espions au service de la paix ?" publié début juillet par le député socialiste Jean-Michel Boucheron. Le parlementaire, rapporteur spécial du budget de la Défense, y dresse le "constat d’échec" de ce culte du "secret défense". Moqueur, il cite ainsi l’utilisation, pendant des années, par la Direction du renseignement militaire (DRM) de motards pour acheminer les clichés high-tech entre sa base de Creil et le siège de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure). Et de glisser, perfidement : "À l’heure de la fibre optique et d’Internet, le coût financier et opérationnel de ces liaisons datant d’un autre âge reste à chiffrer." Plus grave, le député Boucheron déplore la confiscation des clichés d’Hélios par les services de renseignement. Même l’Armée de l’Air, qui assure pourtant la mise en œuvre du système, doit faire des pieds et des mains pour y accéder ! Pis, alors que l’heure est officiellement à la construction d’un Renseignement européen, les Français traînent les pieds quand il s’agit de transmettre des informations à leurs partenaires. Ce fut notamment le cas, note Boucheron, lors de l’intervention militaire au Kosovo. Pourtant, le programme Hélios est officiellement une réponse directe au manque de coopération américain en matière d’espionnage satellitaire. Ironie de l’histoire : le lancement d’Hélios II devrait être assuré par... une fusée Soyouz russe, beaucoup moins chère qu’Ariane. Jacques Chirac a en effet conclu un accord avec Vladimir Poutine pour que la station de lancement de Kourou devienne "le creuset d’une forte coopération russo-européenne" dans l’espace. Les temps changent.