On se demandait qui il était, aujourd’hui on le sait, maintenant on l’écoute. Le député (UDF) Renaud Dutreil, l’auteur de gauchestory.com se confie à Transfert.
L’auteur du site gauchestory.com, un pastiche de l’émission de M6 dont les habitants ne sont autres que les élus de la gauche plurielle, est démasqué. Le journal Le Monde a débusqué le politicien dans son bureau de l’avenue de Soissons à Château-Thierry. Il s’agit de Renaud Dutreil, 41 ans, député UDF de l’Aisne et maître des requêtes au Conseil d’...tat. Resté anonyme depuis l’ouverture de son site, le concepteur inspiré de gauchestory.com a suivi dans l’ombre et avec amusement les efforts frénétiques dépensés par les médias pour l’identifier.
Il faut dire que les responsables de l’hébergeur du site, l’agence web L’Enchanteur, très proche de Démocratie libérale, s’étaient, eux aussi, acharnés à semer le doute. Une semaine plus tôt, ils laissaient entendre que l’auteur des pages pourrait bien être un député de la gauche plurielle et annonçaient, comme l’écrivait Transfert, que "le mystérieux webmestre du site comptait faire du teasing autour de gauche-story, avant de révéler son identité d’ici trois à quatre semaines". Echec de la stratégie marketing : il aura fallu attendre moins longtemps pour connaître le justicier du web de la droite. Retour sur l’affaire avec son protagoniste, Renaud Dutreil. Interview.
Pourquoi vouliez-vous garder votre anonymat ?
Quand on a sorti le site, on a eu beaucoup de messages d’internautes qui disaient qu’on devait le site à un membre de la gauche. Et en voyant les interrogations qu’il suscitait dans la presse, on s’est dit "Pourquoi ne pas les laisser croire ça ?". Ensuite tout est allé très vite, les journalistes de la chaîne parlementaire ont tout d’abord supposé qu’il s’agissait du député PS du Cher, Yann Galut, avant de porter leur regard vers Julien Dray. Mais celui-ci a démenti être l’auteur du site par voie de presse. Je n’avais pas prévu de révéler mon identité, mais comme on m’a trouvé, j’ai assumé.
Qui a eu l’idée du site, est-ce vous ou l’Enchanteur ?
Ce site est une initiative personnelle. Arnaud Dassier et Bruno Walther, les responsables de l’agence, ont conçu le site. Je leur ai confié la réalisation du site de l’Union en mouvement en avril 2001 [qui regroupe "l’ensemble des formations de l’opposition de la droite républicaine"], une association que je préside. L’idée m’est venue au cours d’une discussion avec Bruno et Arnaud. On parlait de la campagne présidentielle de Clinton et Bush et de la façon dont il avaient utilisé le Net comme personne auparavant en politique. Et puis j’ai lancé, comme une boutade, l’idée que l’on devrait faire un site sur gauchestory. On était en plein dans le phénomène Loft Story. Pour moi, Loft Story est assez proche de la tradition romanesque qui enferme ses personnages dans un huit clos et observe leurs réactions. La vie politique c’est un peu pareil, c’est un petit monde dans lequel il y a d’un côté de que l’on montre, l’unité, l’entente, et de l’autre la réalité, les ambitions, les coups bas, les mouvements pas toujours contrôlés. Le site permet de montrer, avec des armes efficaces, l’humour et la dérision, quelles sont ces relations.
Le site vous permet aussi d’exploiter les querelles de la gauche, telles que vous les interprétez, sans pour autant poser un vrai débat politique, non ?
C’est vrai que j’exploite le filon de Loft Story et les querelles de la gauche. Mais je parle aussi d’informations importantes comme le fait que la France soit passée du cinquième au douzième rang européen pour le PIB par habitant. C’est un fait économique sérieusement confirmé, à partir duquel j’élabore un scénario marrant sur la façon dont les élus de la gauche plurielle apprennent la nouvelle... Ils sont contents de voir la France s’appauvrir [rires].
Pour vous, c’est une nouvelle forme de communication politique ?
Je n’ai aucune volonté de théoriser cette pratique. L’idée du site était drôle au départ. Aujourd’hui, on peut en déduire effectivement que ce genre de site permet de proposer un discours différent de la langue de bois habituelle. L’humour est toujours bien perçu et peu utilisé par les politiques dont le langage est technocratique, abstrait et désincarné. Mais l’objectif initial n’était pas d’en faire la démonstration. Aujourd’hui je prends ça comme un bon test. Quand je vois le marketing viral qui s’est exercé sur le site, sans qu’on en fasse la publicité, je me dis que les politiques actuels ont tort de ne pas prendre Internet au sérieux. Ils ne peuvent encore pas imaginer que l’on puisse communiquer avec le Net d’une façon intéressante. D’ailleurs les communicants [l’agence Euro-RSCG] de la gauche sont furieux qu’on ait eu l’idée avant eux !
Avez-vous l’intention de maintenir ce site durant toute la campagne électorale ?
Tant qu’il y a de la visite, oui on continue. Depuis son ouverture le site a enregistré plus de 30 000 visiteurs et 550 000 pages vues. En plus, même si j’écris tous les textes du site, ça ne me demande pas beaucoup de travail, ça m’amuse plutôt.