Madchat, portail de l’underground informatique français, vient de fermer par mesure de prudence. Un policier voulait le mettre en cause dans une affaire de piratage.
Madchat est mort. Le site de référence de la communauté informatique underground francophone, celui que visitaient aussi bien les script kiddies (apprentis pirates) que ceux dont le métier est de les surveiller, qui vit passer nombre d’ex-futurs hackers reconvertis dans la sécurité informatique, a finalement décidé de fermer. Après le coup de fil d’un commissaire de la police judiciaire. Tout commence avec le piratage, par deux mineurs de Versailles, du central téléphonique d’une société des Yvelines. Montant de la facture : 800 000 FF. Aux policiers, les pseudos phreakers (hackers téléphoniques) déclarent avoir trouvé le mode d’emploi de cette technique sur un e-zine underground, Cryptel, dont les rédacteurs sont eux aussi arrêtés, puis inculpés. Et tous renvoient à Madchat, portail des e-zines de hack francophones où l’on pouvait encore, jusqu’en janvier dernier, trouver Cryptel, comme des dizaines d’autres mags de h4X0rz (hackers, en langage underground).
Simple comme un coup de fil
Le commissaire Doublet, de la division économique et financière de la police judiciaire de Versailles, contacte alors Damien Bancal, journaliste du site Zataz, qui était le contact administratif de Madchat et qui en a marre d’être entendu par la police : c’est toujours lui qu’on vient voir, sous prétexte qu’il couvre l’actualité de l’underground. Résultat : énervé, il publie un texte pour expliquer une fois de plus ce que l’on peut faire, ou pas, et renvoie le commissaire vers Léo, le véritable responsable de Madchat. Le 31 janvier dernier, ce dernier reçoit un coup de fil... à 3 heures du matin : Léo vit aux ...tats-Unis, mais pas le commissaire Doublet, qui lui explique qu’il risque d’être mis en examen : "il est illégal de mettre un lien vers un site illégal, ou qui pourrait l’être, un article qui promeut un groupe de hacking est illégal, et l’on doit être en mesure de contrôler 1/ son contenu 2/ l’identité des participants (avec une adresse e-mail sur un fournisseur d’accès internet français)".
Internet=anonymat=pédophilie
Mais qu’est-ce qu’un site qui "pourrait être illégal" ? Et comment s’assurer de la légalité d’un site, et vérifier la conformité de tous ceux vers lesquels un webmaster est amené à faire un lien ? Interrogé par Transfert, le commissaire avance qu’"en deux-trois clics, on pouvait arriver aux e-zines" de Cryptel. Mais Yahoo, par exemple, a référencé Madchat dans sa section "hacking", offrant donc, en quatre clics seulement, la lecture de ce même contenu illégal... Quant à contrôler l’identité des auteurs avec une adresse e-mail chez un fournisseur d’accès français, rien de tel n’est jamais apparu dans la loi française. Mais, poursuit le commissaire, "quand on n’a rien à se reprocher, on met son nom, et les sites qui n’ont rien à se reprocher contrôlent l’identité de ceux qui y participent. Tout ce que je demande à l’hébergeur, c’est de connaître ses clients, ou de fermer le site." Et d’enchaîner avec la désormais classique équation internet=anonymat=pédophilie : "je préfère que les gens soient facilement identifiables, c’est un espace de liberté mais il y a tellement d’abus qu’on passerait notre temps à identifier des sites pédophiles." Le commissaire a beau avoir trouvé la véritable identité des contrevenants, rien n’y fait. Au final, Léo ne devrait pas être inquiéter, mais le policier a prévenu : "si les magazines Cryptel sont republiés avec des précisions pour pirater les lignes téléphoniques, ceux qui les diffusent sont aussi coupables que ceux qui les ont écrits." Des dizaines de sites, bien évidemment, diffusent toujours les écrits de Cryptel. Le commissaire les recherche "activement ".
Le crime de la curiosité
Les e-zines diffusés depuis des années par Madchat expliquaient comment entrer dans tel ou tel programme ou dans tel système informatique, et se réfugiaient derrière la traditionnelle excuse de tous les hackers : on fait ça par curiosité, il y a une différence entre expliquer comment fonctionne une serrure, et comment la fracturer. Ironie de l’histoire : trois semaines avant le coup de fil du commissaire, face à la criminalisation rampante de ce genre de curiosité, et au nombre galopant d’adolescents confondant allègrement curiosité et piratage, Madchat s’offrait, selon les propres termes de Léo, "le luxe de passer dans la légalité française." Il renonçait à ce qui avait fait sa renommée (le côté fourre-tout de la bibliothèque d’e-zines controversés) pour mieux se recentrer sur la promotion de la sécurité informatique et de la liberté d’expression.
Mais Madchat restait pénalement responsable de ses diffusions antérieures. Aussi a-t-il in fine décidé de fermer le site, après 3 ans d’activités, et malgré les 1000 et quelques visiteurs quotidiens. Léo n’aimerait pas être cueilli par la police le jour où il reviendra en France... Aujourd’hui, Madchat est gelé, et renvoie au célèbre texte du Mentor, La Conscience d’un hacker, daté de 1986 : "Nous recherchons la connaissance... et vous nous appelez criminels. Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité. Je suis un hacker, et ceci est mon manifeste..."