Après l’interdiction de trois journaux marocains indépendants, des sites web français se mobilisent contre la censure. Dernier épisode en date : le site Samizdat.net a mis en ligne, dimanche 10 décembre, l’édition censurée au Maroc de l’hebdo Demain.
Au Maroc, la lutte pour la liberté de la presse se joue en partie sur les réseaux informatiques. Et la bataille engagée est loin d’être gagnée d’avance. Symbole de cette lutte : le site français samizdat.net a publié, dimanche dernier, une partie de l’édition du 9 au 15 décembre de l’hebdomadaire Demain. Désormais interdit dans le royaume chérifien, Demain est l’un des trois journaux marocains frappés d’interdiction (définitive) par le pouvoir à la suite d’articles mettant en cause la gauche marocaine dans une tentative de coup d’état en 1972.
Une histoire vieille de 28 ans
Rappel des faits : dans son numéro du 25 novembre dernier, l’hebdomadaire marocain Le Journal publiait une lettre de Mohamed Basri datée de 1974, prétendant qu’Abdherrahmane Youssoufi, l’actuel Premier ministre socialiste du Maroc, aurait été impliqué dans la tentative de coup d’état du 16 août 1972 contre le roi Hassan II. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe au Maroc, même si la lettre n’a pas été officiellement authentifiée. Elle met à jour l’hypothèse d’un complot organisé conjointement par la gauche marocaine et le général Oufkir pour éliminer l’ancien souverain. En réaction, le gouvernement marocain annonçait, le 2 décembre, l’interdiction de trois journaux, dont Le Journal et deux autres hebdomadaires indépendants (Demain et Assahifa) qui ont relayé ou commenté ces informations. Plusieurs sites ont décidé d’ouvrir leurs pages web au contenu à l’origine de la censure. Le site de Reporters sans frontières (RSF) reprend par exemple le dossier du Journal intitulé "Les dessous des cartes du Putsch de 1972". Courrier International, de son côté, a rapatrié sur son site des extraits de la lettre publiée dans Le Journal. La duplication sur la Toile de documents censurés est devenue une véritable arme pour les défenseurs de la liberté d’expression. L’objectif est clair : investir le Net pour contourner la censure.
Multiplier les sites-miroirs
Dans ce domaine, la démarche la plus aboutie est la publication du dernier numéro de Demain sur samizdat.net. Les pages de l’hebdo ont été envoyés par mails, la semaine dernière, aux membres du site français. Samizdat.net n’en est pas à son coup d’essai : en mars dernier, le site avait déjà récupéré le contenu du site espagnol de l’Association contre la torture (ACT), qui faisait l’objet de poursuites judiciaires en Espagne. L’ACT publiait la liste de tous les policiers espagnols jugés pour des actes de torture (lire Espagne : un site contre la torture censuré). "Par expérience, nous nous attendons assez rapidement à ce que les autorités marocaines ordonnent aux fournisseurs d’accès locaux de bloquer l’accès au site depuis le Maroc", explique Aris Papathéorodou, membre de samizdat.net. La solution : multiplier rapidement les sites-miroirs sur des serveurs alternatifs situés dans le monde entier. "Cette opération est techniquement très simple. Une demi-ligne de code sous Linux suffit à programmer un transfert du contenu d’un site sur un serveur." Plus les serveurs sont nombreux, plus il est difficile de bloquer l’accès à l’information sur le Réseau. "Pour une fois, il ne s’agit pas de vilains islamistes ou de méchants nazis, mais de démocrates marocains", poursuit le membre de Samizdat.
Continuer sur le Net
Joint au téléphone par Transfert, Ali Lmrabet, directeur de la publication de Demain, explique qu’il compte continuer la publication de Demain sur le Net. Depuis le Maroc. "Je n’ai pas l’intention de partir", explique-t-il. L’hebdo marocain devrait toutefois changer de titre : "Ce sera certainement Demain enchaîné", précise-t-il. Pour lui, "Internet a un rôle extraordinaire à jouer. Dans le cas présent, nous ne pouvions sortir une édition sans que les ciseaux de la censure passent. De plus, les gens vont pouvoir juger d’eux-mêmes les raisons de cette interdiction". Mardi 12 décembre, le site de Samizdat était encore accessible depuis le Maroc. Mercredi, Ali Lmarabet déposait plainte contre le gouvernement auprès d’un tribunal marocain contestant l’interdiction de son journal. Reste à savoir quelle sera la réaction des autorités marocaines.