Look british, homme de réseaux, l’Américain Vinton Cerf, père du protocole IP, fait un président aux compétences indiscutées, mais aux multiples casquettes encombrantes pour certains membres de l’ICANN.
Vinton Cerf, membre directeur de l'ICANN, cadre de WorlCom, inventeur du protocole TCP/IP©Tom Craig/ Transfert |
On attendait sa nomination comme nouveau président de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) : elle est intervenue jeudi 16 novembre. Pressenti déjà depuis quelques semaines, Vinton Cerf prend aujourd’hui le relais d’Esther Dyson. Elle était la diva du capital-risque. Il est, à 57 ans, le papa des adresses IP (Internet protocol). Infatigable, il court les colloques, donne interview sur interview, toujours avec une patience hallucinante. Immanquable dans la foule, cet Américain au look "so british". Une silhouette longiligne soulignée par un élégant costume trois pièces, une cravate de soie jaune, la barbe impeccablement taillée, l’homme semble sorti tout droit d’un institut de beauté. Seule une prothèse auditive, pourtant discrètement glissée derrière l’oreille, détone dans ce profil soigné.
Réseau et réseaux
Malentendant depuis quelques années, Vinton Cerf parle posément, écoute avec attention et ne néglige aucune allocution publique. Depuis six ans, il représente ainsi, à travers le monde, les intérêts de l’entreprise de télécommunications World Com, dont il supervise les activités Internet. Du réseau aux réseaux, il n’y a qu’un pas, et Vinton Cerf a eu le temps de les cultiver. Dans les années 1970, professeur à l’Université de Stanford, il invente, avec Robert Kahn, le protocole TCP/IP. Il continue ensuite d’œuvrer sur la technologie Internet au sein de la DARPA, un département de la défense américaine (U. S Defense Advanced Research Projects Agency). À partir des années 80, vice-président de la compagnie MCI Digital Information Services (MCI mails), il sera à l’origine des premiers services de courrier électroniques par Internet. Plus tard la compagnie de télécommunication fusionnera avec World Com dont il est aujourd’hui le vice-président. Présent dans la plupart des organismes techniques qui administrent le Web, il a collaboré à l’ISOC (Internet society) de 1992 à 1995. Très impliqué et convaincu du besoin d’"éduquer" les législateurs, il participe en 1997, au comité d’information présidentiel sur les nouvelles technologies (Presidential information technology advisory commitee, PITAC) avant d’être propulsé au comité directeur de l’ICANN. Tant de titres, de fonctions et de compétences sous le chapeau d’un seul homme commencent, d’ailleurs, d’attirer à "Vint" quelques reproches bien sentis.
Un vote unanime et deux abstentions
Un homme en particulier ne se fait pas prier pour lui en asséner : Andy Müller-Maguhn, un hacker allemand qui fait partie des cinq membres de l’ICANN élus directement par les internautes. Il est le seul (excepté Vinton Cerf lui-même) à s’être abstenu de voter pour l’installation du maître à la présidence de l’institution. Car il ne croit pas à la neutralité du grand Vint. "Il a fait beaucoup pour le Réseau, il n’y a pas de doute là-dessus, mais aujourd’hui, il représente davantage les intérêts de l’industrie", a-t-il déclaré au journal en ligne Mercury News. Vinton Cerf lui ne voit pas le problème. "La compagnie World Com que je représente et l’ICANN n’ont pas du tout les mêmes rôles", nous a-t-il assuré. Répétant encore et toujours que l’ICANN exerce des responsabilités très "limitées" (la gestion des noms de domaines, des extensions et des adresses IP, rien que ça !), Vinton Cerf soutient que le rôle de l’organisme doit rester "technique". À condition que Big Vint n’oublie pas de vérifier la couleur de sa casquette quand s’ouvrira la première réunion de son règne de président.