Un site espagnol contre la torture et son hébergeur sont poursuivis pour avoir dévoilé les noms de policiers coupables de mauvais traitements. Les associations se mobilisent.
Le 8 mars dernier à 14 heures, l’hébergeur madrilène Sodepaz a eu droit à la visite - surprise - de deux inspecteurs de l’Agence de protection des données (APD). Un organisme d’...tat un peu dans le genre de la CNIL française (Commission nationale de l’informatique et des libertés). L’exigence des policiers : récupérer le contenu du site Web de l’Association contre la torture (ACT). Ce site publiait depuis quelque temps la liste de tous les policiers espagnols jugés pour des actes de torture. Refusant d’obéir, la Sodepaz, organisation pacifiste qui fédère tout un tas d’associations sur le site portail alternatif Nodo 50, était mise en demeure de supprimer l’accès aux pages incriminées. Fin mars, sous la menace d’une amende de plus d’un million de francs, la Sodepaz a dû obtempérer. Un tribunal, saisi par l’Association contre la torture pour "atteinte à la liberté d’expression", devrait se prononcer d’ici le 15 avril sur les suites à donner à l’action entreprise par l’Agence de protection des données.
"Mesures de précaution"
La nouvelle a fait rugir les milieux alternatifs espagnols, qui ont aussitôt organisé leur soutien au réseau Nodo 50. Quant à l’Agence de protection des données, elle affirme avoir le droit de son côté. Se défendant d’attaquer l’hébergeur, elle prétend avoir pris des "mesures de précaution" pour éviter que les pages en cause continuent à être diffusées (vu le nombre de sites miroirs créés en réaction, ce n’est pas très réussi). Sur le fond, l’agence estime que l’Association contre la torture a enfreint la récente loi sur les données personnelles. "Selon cette loi, la détention et la publication de fichiers sur les condamnations pénales des Espagnols est un droit exclusif de l’administration", précise un communiqué de l’APD.
"Certains continuent à agir comme au temps de Franco"
Président de l’Association contre la torture, Jorge del Cura contre-attaque : "Nous publions ces données depuis dix ans dans notre rapport annuel et personne n’a jamais porté plainte contre nous. Nous avons même envoyé au préalable nos pages Web à plusieurs ministères et il n’y a pas eu d’interdiction." Autant de raisons, selon lui, pour voir des implications politiques dans les pressions dont il fait l’objet. "Votée en 1999, la loi sur les données est entrée en vigueur fin février", calcule Jorge del Cura. "Une semaine plus tard, les flics ont débarqué chez Sodepaz." Le président de l’ACT déplore que la nouvelle règle donne un droit de perquisition à l’Agence de protection des données, sans qu’elle ait à passer par un juge.
Si l’agence en question peut tout à fait se retrancher derrière le droit, il est évident que certains attendaient l’Association anti-torture au tournant. La plainte a d’ailleurs été déposée par un service central de la police espagnole. Jorge del Cura tient à justifier la publication des identités des policiers mis en cause : "Le gouvernement passe son temps à dire qu’il n’y a plus de tortures dans les commissariats alors que certains continuent à agir comme au temps de Franco. Si nous donnons les noms, c’est pour prouver que ces actes sont bien réels."
Retour de manivelle
Ironie du sort, les responsables de Nodo 50 ont vu leurs coordonnées personnelles diffusées dans un forum de discussion. Une sorte de vengeance, au nom du respect des libertés publiques. Si on ne peut s’assurer de l’identité de l’auteur du message, assez agressif, la visite du forum est instructive. Baptisé es.soc.org.policia et consacré aux forces de l’ordre, le newsgroup héberge de nombreux messages de soutien à Pinochet...
Dédié à la cryptographie, le webzine espagnol Kriptopolis s’interroge quant à lui sur le danger de publier de telles "listes noires". "Un annuaire de téléphone sur papier ne me dérange pas, écrit Kriptopolis. Lorsqu’il devient électronique, les possibilités de recoupement qu’il offre au télémarketing commencent à me gêner. Il en est de même avec les condamnations. En principe, elles sont publiques, mais en faire des bases de données aussi aisément consultables peut les transformer un instrument extrêmement dangereux."
http://www.nodo.org
http://www.nodo.org
http://www.ag-protecciondatos.es
http://www.ag-protecciondatos.es
http://www.kriptopolis.com/dav/20000320.html
http://www.kriptopolis.com/dav/2000...