Net2One, site qui redirige les internautes vers des articles publiés sur d’autres sites de presse, est au centre d’une polémique : les éditeurs l’accusent de pillage et viennent de publier une "Charte de l’édition électronique" qui interdit de telles pratiques.
C’est
le jeune PDG le plus médiatique du Landerneau
multimédia. Jérémie Berrebi,
21 ans, star d’Envoyé Spécial et
de toute émission sur la Net économie.
Si jeune, si riche... C’est aussi le patron
d’une des start-ups les plus contestées
du milieu : accusé de pillage par des éditeurs
de presse (et pas des moindres : Le Monde,
Les ...chos, etc.), Berrebi a décidé,
en fin de semaine dernière, d’enlever
de son site les références à
plusieurs grands noms de la presse française.
L’affaire est de longue haleine. Net2One,
société spécialisée dans
la délivrance d’information à la
carte, offrait depuis plusieurs mois un service sur
mesure : la possibilité de se concocter un
menu d’articles puisés dans les médias
en ligne, et de recevoir quotidiennement les liens
vers les pages en question, par e-mail, messagerie
instantanée (style ICQ), ou sur un Palm Pilot.
Seul hic (mais de taille !) : Net2One n’avait
pas vraiment fait les choses dans les règles,
reprenant des titres et chapeaux d’articles sans
toujours avoir l’autorisation des éditeurs...
La société se contentait d’envoyer
un petit courrier électronique de demande d’autorisation
aux médias concernés. En cas d’absence
de réponse, la politique appliquée était
pour le moins cavalière : leur silence valait
approbation !
Mais les éditeurs de contenu se sont réveillés
: ils s’estiment "pillés", et
demandent des explications. Ils ont publié
une "Charte
de l’édition électronique"
et s’affirment prêts à traîner
en justice le pillard... "Ils veulent ma
mort, assure Berrebi. Mais certains d’entre
eux refusent même de me parler au téléphone...
Comment discuter ?"
Net2One a donc sorti de son moteur de recherche les
sites des signataires, tous membres du GESTE
(Groupement des éditeurs de services en ligne).
Ces insurgés sont tous de grands éditeurs,
des pointures du Web médiatique français
: Le Monde, Les ...chos, La
Tribune, l’AGEFI, Investir,
Libération, ZDNet France. L’absence
de leurs articles dans la sélection de Net2One
risque de porter un rude coup à la start-up.
La gratuité-repoussoir
Le modèle économique de Net2One
repose sur la gratuité des contenus fabriqués
par d’autres. La société ne pratique
pas vraiment le "copier-coller", ce qui
serait clairement répréhensible. Elle
se contente d’indiquer l’emplacement des
articles par un lien, reprenant le titre et le chapeau.
Mais cela suffit à attirer les annonceurs,
qui constituent aujourd’hui sa principale source
de revenus - en attendant le développement
de l’affiliation et du commerce électronique.
Ceux qui paient des journalistes pour produire l’information
l’ont mauvaise. Comment un petit jeune à
la tête d’une boîte, créée
il y a moins de deux ans, peut-il aussi impunément
gagner de l’argent par la magie du lien hypertexte
? Les capitaux-risqueurs l’ont déjà
royalement gratifié de 10 millions de francs
l’été dernier, et un deuxième
tour de table est en cours.
"Avec cette logique consistant à dire
que tout est gratuit sur Internet, nous, on met la
clef sous la porte !, proteste Michaël Boccacci,
directeur du marketing et du développement
au Monde Interactif. Il ne restera plus que l’AFP...
La problématique de fond, c’est que faire
de l’info, ça a un coût."
Au demeurant, le signataire de la charte est plutôt
admiratif du travail de Jérémie Berrebi,
PDG-fondateur de Net2One : "Nous le citons
en exemple parce qu’il fait beaucoup parler de
son entreprise, et parce qu’il est celui qui
a le mieux industrialisé son système.
Je n’ai rien contre lui."
Tête de turc
Lorsque les éditeurs ont commencé
à réfléchir sur une charte, l’été
dernier, ce sont les intranets des entreprises qui
les avaient alertés. Les plus grands groupes
français se livraient à la reproduction
sauvage d’articles, postés sur leur réseau
interne. Les ventes du Monde n’ont pas baissé
en direction de ces entreprises, concède Michaël
Boccacci, parce que l’opération a servi
à acquérir de nouveaux lecteurs -
et non à remplacer des abonnements. Mais les
journaux craignent de perdre la maîtrise de
leurs contenus. Notamment ceux qui négocient
actuellement les modes de rémunération
des droits d’auteur pour les journalistes dont
les articles sont reproduits sur le Web. Pas question
de faire un faux pas dans ces négociations
parfois houleuses... Pas question, donc, de voir
son contenu (même un titre), reproduit et diffusé
en grande série par une société
commerciale, sans qu’un accord ait été
signé.
Et Jérémie Berrebi, dans tout cela ?
Il a l’impression d’être la tête
de turc, la victime d’une campagne de presse
inique : "Dès que Le Monde m’a
signalé ne plus vouloir que nous reprenions
les chapeaux, nous avons obtempéré.
On nous a signalé qu’il faudrait ajouter
le nom du journaliste à côté du
titre : nous y travaillons. Mais le problème,
c’est que les médias préfèrent
nous massacrer sur la Jliste [une liste de diffusion
journalistique] plutôt que de nous dire les
choses en face. S’il y a un problème,
qu’on en parle ! Je suis prêt à
discuter, et je n’ai rien contre le principe
de la charte. Je veux simplement qu’on cesse
de nous considérer comme des pirates du Web."
Le prix du lien
Discuter, d’accord. Mais de quoi ? Certains
estiment que Net2One devrait verser de l’argent
aux sites qu’il référence sur son
moteur de recherche. Absurde, réplique Jérémie
Berrebi : "Aux ...tats-Unis, iSyndicate
fait payer les éditeurs de contenus pour mentionner
leurs articles ! C’est moi qui devrais gagner
de l’argent. Des éditeurs m’appellent
tous les jours pour être référencés,
parce que j’ai plus de 100 000 abonnés
et plus de 8 000 sites qui reprennent mon fil d’information.
Plus de 11 000 visiteurs sont venus sur le site du
Monde ce mois-ci en passant par Net2One : on leur
a économisé une campagne de pub."
Cela fait doucement rire Michaël Boccacci qui
ironise : "Sur 2,4 millions de lecteurs, 11
000 c’est vraiment énorme !"
Ce dernier affirme avoir déjà tenté
de trouver un accord négocié, quoique
mollement, avec la start-up. Il imagine trois issues
possibles si les négociations reprenaient.
"Net2One pourrait acheter notre contenu, ou
bien partager ses recettes publicitaires avec nous.
À moins que l’on ne s’arrange pour
un équilibre contenu contre trafic..."
Jérémie Berrebi, lui, considère
que ceux qui le souhaitent n’ont qu’à
demander à être retirés de la
liste.
Malgré ces désaccords, il faut croire
que le torchon n’a pas complètement brûlé
entre la start-up et les éditeurs. Ces derniers
ne semblent pas entièrement indifférents
au fort trafic de Net2One. "Je ne ferai pas
des pieds et des mains, avance Michaël Boccacci,
mais si Jérémie souhaite avoir mon contenu,
on se mettra d’accord."