De l’aveu même de son patron, Hans Bernhard, le site qui vend aux enchères les voix des électeurs américains, est une entreprise de mystification. Aux ...tats-Unis, à une semaine du scrutin présidentiel, Vote-auction suscite un énorme scandale.
Lire l’interview de Hans Bernhard et LizVlx par notre envoyé spécial à Berlin
"Les Américains sont terriblement arrogants. C’est pour ça que nous les emmerdons au maximum." Calé dans son bureau berlinois, Hans Bernhard tombe le masque. Le patron de vote-auction.com n’est pas celui qu’il prétendait être jusqu’ici. À quelques jours du scrutin présidentiel du 7 novembre prochain, le site qui propose aux électeurs américains de vendre leurs voix au plus offrant suscite une vive polémique outre-Atlantique : débat en prime time sur CNN, centaines d’articles de presse, accusations de "félonie" lancées par des responsables politiques et, surtout, six procédures judiciaires en cours dans six ...tats différents. Pour toute réponse aux interrogations que suscitent ses intentions, Hans Bernhard, un Autrichien de 29 ans, s’en est toujours tenu à une explication désarmante de simplicité : il veut faire des enchères sur les votes "un business à part entière dans un marché plein d’avenir". Ni plus, ni moins.
Cette position est habile, car elle déroute les nombreux ennemis que Bernhard s’est faits en quelques mois aux ...tats-Unis. Des détracteurs qui ne comprennent rien à ce personnage qui navigue entre Vienne et Berlin, son i-book sous le bras. Difficile pour eux de savoir si Hans Bernhard est : 1- un ultra-libéral sans foi ni loi, pour qui faire entrer le marché dans les isoloirs ne soulève aucun problème moral, ou bien (et c’est beaucoup plus embêtant) 2- un "subversif" qui cherche à dénoncer l’omniprésence de l’argent dans le système électoral américain. On peut désormais biffer la première mention devenue inutile (lire l’interview de Hans Bernhard). Vote-auction est un pied de nez, créé dans la plus pure tradition situationniste. Au dernier pointage, le site revendiquait 22 000 électeurs inscrits pour plus de 2 millions de francs d’offres d’enchères. Selon les ...tats, une voix valait de 27,50 francs en Louisiane à 175 francs dans le Michigan.
Mails d’insultes
Hans Bernhard n’a en effet rien d’un investisseur amoral, puisqu’il est un des fondateurs du collectif international d’artistes etoy, organisé comme une société commerciale. Créée en 1993, elle repose sur "l’intuition que les méthodes business sont un bon moyen de faire changer les choses". Les coups d’éclat d’etoy ? De multiples détournements de sites et une belle victoire dans la guerre qui l’opposait, en février 2000, au marchand de jouets Etoy qui voulait monopoliser son nom de domaine.
Hans Bernhard, l’homme qui fait aujourd’hui trembler l’Amérique en campagne, a établi ses locaux dans un immeuble squatté de Berlin-Est. Dans ces nouveaux locaux du WMF, un squat historique de la scène techno berlinoise, on trouve certes quelques freelances, des associations internet, mais pas d’arsenal de guerre électronique : deux bureaux, deux chaises et pas de téléphone. Bernhard et LizVlx, son alter ego et associée, ont le sourire en coin et un numéro bien rôdé. Les deux "presque trentenaires", plongés dans le Net depuis 7 ans, répondent aux mails d’insultes et donnent jusqu’à une dizaine d’interviews par jour. "Nous communiquons par portable ou en visioconférence, cela nous permet de garder l’apparence d’un vrai business. Nous ne pourrions pas maintenir le doute si les médias venaient dans nos locaux." ...galement consultants internet, ils jouent à merveille de la rhétorique marketing et tapent là où ça fait mal. Clientélisme, langue de bois, dictature des sondages, juridisme, ils singent les défauts pour mieux les dénoncer. L’Amérique, Hans Bernhard y a vécu 4 ans. Assez pour y monter quelques coups avec etoy. L’artiste-entrepreneur-activiste a un rêve : secouer le système américain, devenu "pervers" sous une pluie de dollars. "Si les entreprises et les ...tats-Unis ne changent pas radicalement, on arrivera de toute façon aux enchères de votes dans quelques années."
Identité confidentielle
Depuis sa mise en ligne au début du mois d’août dernier, Vote-auction a rempli au mieux son rôle d’emmerdeur. La commission électorale de la ville de New York a été la première à menacer le site de poursuites judiciaires. C’était à la fin du mois d’août. Vote-auction appartenait encore à son fondateur, James Baumgartner, un jeune étudiant de l’...tat de New York. La menace a porté puisque, le 24 août, Baumgartner jetait l’éponge et cédait son site à Bernhard, le collectif d’artistes RTMark (lui aussi spécialiste du sabotage médiatique) servant d’intermédiaire. Depuis, le bureau électoral de la ville de Chicago, des ...tats du Nebraska et du Massachusetts, ainsi que le procureur général du Texas, le secrétaire d’...tat de Californie et la "brigade technologique" de l’Arizona poursuivent Vote-auction pour fraude à la législation électorale.
Le 18 octobre dernier, un tribunal de Chicago (Illinois) a ordonné la fermeture du site voteauction.com. Bernhard l’a immédiatement réouvert sous une nouvelle adresse, vote-auction.com. Le 24 octobre, un débat a eu lieu en direct sur CNN. Hans Bernhard y participait en duplex depuis Berlin. Au cours du débat, Bill Jones, le secrétaire d’...tat de Californie (premier réservoir électoral américain) a confirmé que les quelque 2500 électeurs de cet ...tat qui ont mis leurs voix aux enchères pourraient être poursuivis pour "félonie". Un crime passible d’au moins trois ans de prison. Le problème, c’est que l’identité des électeurs inscrits sur vote-auction est confidentielle, et que les serveurs du site se trouvent en Autriche et en Bulgarie. Très loin de la Californie.
L’ironie et le double sens sont rois
Que va-t-il se passer maintenant ? À une semaine des élections présidentielles, il est difficile de croire que les enchères vont réellement avoir lieu. Sous la pression judiciaire, Vote-auction a pas mal édulcoré ses ambitions. Le site ne parle plus d’enchères mais de "donations". Contrairement à ce qu’annonçait Hans Bernhard il y a encore quelques semaines, personne ne vérifiera que les électeurs inscrits votent bien pour le candidat désigné par le vainqueur des enchères. LizVlx, se veut rassurante : "Les donateurs devront faire confiance aux électeurs. En général, plus quelqu’un est généreux, plus il peut s’attendre à ce qu’on soit loyal envers lui. L’histoire du capitalisme le montre amplement (rires)." Chez Vote-auction, l’ironie et le double sens sont rois.
Quoi qu’il arrive, et même si les enchères ne vont pas jusqu’au bout, Vote-auction est parvenu à créer l’événement, à tourner en ridicule le grand Barnum électoral américain. Selon la commission électorale fédérale, les entreprises américaines ont dépensé plus d’argent que jamais dans le financement de l’actuelle campagne : plus de 800 millions de dollars (6 milliards de francs). De son côté, Hans Bernhard n’exclut pas de vendre Vote-auction pour "au moins un million de dollars". Un prix qui n’a rien d’irréaliste, compte tenu de la couverture médiatique mondiale dont a bénéficié son site. Après tout, Bernhard n’est pas un si mauvais businessman.