Ekke fait partie du Chaos Computer Club depuis une dizaine d’années. Parmi les membres les plus influents à Berlin, ce rhétoricien de formation s’est spécialisé dans l’éducation et dans "l’ingénierie sociale", une sorte de hacking par la communication.
Que fait le Club dans le domaine de l’éducation ?
Avec Hans, un des membres du Club les plus pointus techniquement, nous avons actuellement un projet marrant. Nos deux fils, âgés de 6 et 7 ans, sont dans la même école à Berlin, et dans la même classe. Nous voulons y créer un cours d’informatique et avons pour cela prévu de fournir 17 iMac pour que les cours puissent commencer dès l’année prochaine. Nous comptons nous les procurer gratuitement auprès des responsables marketing de Macintosh Allemagne, qui ont déjà sponsorisé notre Congrès ainsi que le Chaos Communication Camp. Le directeur de l’école est favorable au projet, tout devrait bien se passer. Les statuts du Club mentionnent depuis le début la "meilleure compréhension entre les peuples" et "l’éducation". Nous avons des ateliers éducatifs tous les mois, dans toutes les sections régionales du Club. À Berlin, cela s’appelle le Datengarten, le jardin des données. Il y a une cinquantaine de personnes en moyenne. Les membres du Club assurent une sorte de cours à tour de rôle sur un sujet de leur choix. En septembre, j’ai parlé "d’ingénierie sociale", qui est une sorte de hacking appliqué aux gens plutôt qu’aux ordinateurs. Sinon, il y a les discours que nous faisons lors du Congrès annuel ou d’autres rassemblements. Lors de la dernière édition, j’ai par exemple fait une présentation pédagogique sur la psycho-acoustique. Je montrais l’intérêt d’étudier le chemin du son d’un mp3 jusqu’au cerveau et les différences psychologiques suivant les conditions d’écoute.
Qu’est-ce que l’ingénierie sociale ?
Je suis linguiste et rhétoricien de formation. Je forme des adultes, dans des entreprises ou dans des écoles. Toutes mes compétences touchent au domaine de la communication. L’ingénierie sociale, c’est le croisement de la communication et du hacking, considéré comme le détournement d’un objet de son but premier. L’ingénierie sociale considère que dans la chaîne informatique, le maillon le plus faible est souvent l’humain. L’application première pour les hackers est par exemple de faire révéler des mots de passe à des personnes en se faisant passer pour quelqu’un d’autre. Ou de deviner les mots de passe à partir d’indices sociaux sur la personne. J’aime bien convaincre par téléphone un employé de la hotline d’un constructeur informatique de me donner des infos secrètes pour modifier un de leurs programmes. Récemment, dans un salon informatique, j’ai obtenu d’un ingénieur le mode d’emploi pour démonter soi-même un disque dur externe d’une marque précise. Ces produits sont normalement verrouillés et le fait de les ouvrir permet de changer un détail qui leur donne une longévité plus grande. Ce ne sont que des exemples parmi d’autres, mais les applications sont énormes car la psychologie et l’information sont capitales dans les nouvelles technologies. De très bonnes compétences de communication sur Internet, c’est un peu l’équivalent d’un passe-partout pour un serrurier.
Qu’apprend-on au Club ?
Une sorte de système D, l’idée de chaos comme principe d’organisation. La décentralisation est telle que l’avis général des membres du Club n’existe pas. On peut dire que c’est une sorte de zen à l’européenne, une façon d’apprendre à agir sans perdre tous ses moyens face aux situations qui semblent incompréhensibles ou angoissantes. Typiquement, dans ce genre de cas pratique, je vois que les gens issus d’écoles de commerce ont une propension à échafauder des solutions et des plans globaux mais impossibles à appliquer. Le Club fonctionne à l’engueulade et à l’amour. Tim (lire l’interview), Hans et Andy (lire l’interview) sont les colériques en chef. Je suis même souvent obligé de faire du thé pour calmer tout le monde pendant les réunions. Je m’énerve beaucoup moins, mais c’est, comme disait Al Capone, parce qu’on obtient beaucoup avec un flingue et des mots doux qu’avec un flingue seul...