Informaticien de formation, Didier Roche est aveugle depuis l’âge de 7 ans. Il dirige une société qui commercialise des produits informatiques destinés aux non-voyants. Rencontre avec un précurseur.
Didier RocheEric Mugneret |
Assis devant son bureau, Didier Roche effleure une tablette Braille. "
J’ai suivi toutes mes études avec cet objet de torture. Ça faisait un boucan pas possible quand je prenais mes notes au lycée." Sur son front, au-dessus de l’œil gauche, une marque bleutée, souvenir récent d’une rencontre malheureuse avec un poteau de signalisation. "
Le poteau ne s’en est pas remis", plaisante Didier. À 31 ans, ce chef d’entreprise aveugle est un battant. Sa place, il se l’est faite à grands coups de persévérance, pulvérisant une à une les contraintes qui s’imposaient à lui. Bac B en poche, il poursuit des études supérieures en informatique à Jussieu jusqu’à une maîtrise sur l’intelligence artificielle... Et très vite, il a l’envie d’aider les autres. En 1995, il monte itack, une société de distribution d’objets de la vie quotidienne destinés aux non-voyants. "
C’est une profession de foi", explique-t-il. Sur les cinq salariés, quatre sont handicapés visuels... Dans les couloirs d’itack, installée dans le centre-ville de Villejuif (Val-de-Marne), les cartons s’empilent : thermomètre parlant, jeux pour non-voyants, claviers doublés d’une plage braille, logiciels de synthèse vocale. Pas question de parler de gadgets : "
Les nouvelles technologies, pour moi, c’est la liberté. La technique, ça nous sort de la merde." Un aller simple vers l’autonomie.
Intonations glaciales
Au quotidien, Didier gère sa boîte grâce à un logiciel de synthèse vocale et un clavier de transcription en braille. Une machine à 50 000 F pièce. L’outil essentiel pour échanger des informations : le mail. "Je communique au maximum par ce biais, c’est une délivrance." Son logiciel de synthèse vocale lui donne accès à toutes les fonctionnalités du courrier électronique et lit à voix haute leur contenu. Même si les intonations glaciales trahissent quelque peu l’origine numérique des paroles. Reste les incontournables documents administratifs à remplir à la main : les déclarations à l’URSAFF, par exemple. Inévitable. Dans ce cas, une aide est nécessaire.
Une tablette brailleEric Mugneret |
Dans le dédale du Web
Le jeune patron surfe peu sur la Toile. D’ailleurs, peu de choses l’y encouragent ... Malgré la bonne volonté affichée d’une directive du gouvernement de novembre 1999 sur l’accessibilité des sites ou des recommandations du W3C (World Wide Web Consortium) et sa norme baptisée WAI (Web Accessibility Initiative). Le problème demeure : quelques minutes passées avec lui à naviguer sur le site de la Fnac suffisent à mesurer le chemin à parcourir. La page d’accueil de la Fnac s’ouvre et très vite, c’est une galère. Le logiciel de Didier ne détecte aucun cadre sur la page, puis annonce une liste de 225 liens ! Pour trouver son bonheur, le non-voyant devra les lire un à un sur sa plage braille ou les écouter via son logiciel vocal. Un travail de fourmi. Sans parler des images qui ne livrent qu’un obscur "250.jpeg" au passage du curseur, au lieu d’un explicite "photo de...". "L’organisation du site n’est pas adaptée à nos outils de lecture", constate Didier Roche. La solution : mettre en place, par exemple, "des cadres fermés" dans les sites capables d’organiser l’espace d’une manière rationnelle. Car les solutions logicielles de navigation pour non-voyants permettent d’identifier ces espaces fermés et de passer de l’un à l’autre. Consulter une page web pour un non-voyant, "c’est comme regarder par le bout de la lorgnette un immense mur", explique Didier. L’entrepreneur lutte pour "que l’on écoute la minorité". Sans se décourager. "Je crois beaucoup aux réseaux. Je ne pense pas qu’un homme puisse se construire seul." Chaque week-end, Didier chausse ses baskets et participe au championnat de France de foot pour non-voyant avec le club de Saint-Mandé. Attaquant, il a fini meilleur buteur du championnat.