Caspian (Consumers Against Supermarket Privacy Invasion And Numbering) a rédigé une proposition de loi visant à protéger les consommateurs américains des atteintes à la vie privée que font craindre les "étiquettes intelligentes". Le texte de l’ONG américaine de défense des libertés demande une labellisation obligatoire et un encadrement strict des données collectées grâce à ces puces à identifiant unique qui émettent des ondes radio et pourraient remplacer les codes-barres.
Le RFID Right to Know Act of 2003, rendu public par Caspian le 17 juin, propose de rendre obligatoire l’apposition d’un avertissement spécifique sur les produits et emballages contenant un dispositif de puce radio. En plus de prévenir le consommateur de la présence d’une étiquette intelligente, la mention obligatoire devrait l’informer que celle-ci "peut transmettre des informations d’identification unique à un lecteur indépendant, avant et après l’achat".
Les "étiquettes intelligentes" ou "smart tags" s’appuient sur la technologie RFID (Radio frequency identification), qui leur permet d’émettre, dans un rayon de 1,50 mètre, des ondes radio qui peuvent être lues par tout appareil lecteur, à travers cartons et emballages. Elles sont depuis longtemps considérées comme très prometteuses par les industriels, enthousiastes à l’idée de révolutionner leur gestion des stocks et de pouvoir y inclure des infos plus variées et pointues qu’avec les traditionnels codes-barres.
Absence de protection aux Etats-Unis
Pour Caspian, créé en 1999, les étiquettes intelligentes menacent la vie privée des consommateurs car elles pourraient permettre aux entreprises ou aux forces de l’ordre de lier chaque produit à l’identité de son acheteur, via le paiement par carte bancaire, voire de surveiller ses déplacements, si des lecteurs sont installés dans la grande majorité des commerces, comme c’est le cas pour les lecteurs de code-barres.
"Aux Etats-Unis, ce n’est pas comme en Europe. Nous n’avons quasiment aucune protection contre la collecte d’informations par les entreprises", déplore Katherine Albrecht, directrice de Caspian et doctorante de l’université de Harvard.
En France, la loi Informatique et libertés de 1978, dont la Cnil est garante, joue ce rôle, qui est assuré au niveau européen par la "Directive concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques."
Dans sa proposition de loi, Caspian demande donc, en plus du "droit de savoir", des garanties sur les conditions de collecte d’informations par les entreprises : les données personnelles des consommateurs liées à la puce RFID ne doivent pas dépasser les nécessités d’inventaire, ne peuvent être cédées à des tiers et ne doivent par être utilisées pour identifier un consommateur.
Caspian propose enfin que ce soit la Federal Trade Commission (FTC) qui soit le garant de l’application de sa loi.
Le poids de Wal-Mart
"Nous pensons qu’une loi comme la nôtre devient indispensable, surtout depuis que des géants comme Wal-Mart ont décidé de se lancer à fond dans les étiquettes intelligentes", souligne Katherine Albrecht, qui avait déjà essayé d’alerter l’opinion en appelant au boycott de Benetton (Lire son interview).
Le géant américain de la grande distribution a en effet annoncé mi-avril-> qu’il demandait à ses 100 plus gros fournisseurs de s’équiper de la technologie RFID, étiquettes et lecteurs, avant 2005.
L’argumentaire de Caspian s’appuie sur le fait que la technologie RFID est appelée à remplacer le code-barre traditionnel comme standard quasi-universel. Selon les plans annoncés, Wal-Mart devrait mettre en circulation, en 2005, un milliard de ces étiquettes intelligentes, que l’on appelle déjà aux Etats-Unis "code-produits électroniques" (EPC).
Wal-Mart avait déjà pesé pour beaucoup dans l’essor des codes barres, quand il avait adopté, en 1984, cette technologie déjà vieille de 10 ans. Entre 1984 et 1987, le nombre de fournisseurs équipés de codes-barres avait bondi de 15 000 à 75 000.
Recherche sponsors parlementaires
"Il est assez rare que des membres de la société civile écrivent des projets de loi. D’habitude, les ONG réagissent a posteriori aux textes législatifs rédigés par les parlementaires, explique Katherine Albrecht, qui dit avoir lancé ce projet pour répondre aux sollicitations des membres de Caspian qui souhaitaient faire du lobbying concret auprès de leurs hommes politiques locaux.
La proposition de Caspian a été élaborée par une équipe d’étudiants de la Legislative Clinic de l’université de Boston, menée par la juriste Zoe Davidson. C’est un projet de loi fédérale, mais l’ONG dit ne pas écarter l’idée d’une législation au niveau des états américains.
Pour pouvoir devenir une loi, le projet de Caspian doit avoir deux "sponsors", des parlementaires américains de la Chambre des représentants ou du Sénat. Ceux-ci l’amenderaient probablement avant de l’introduire dans l’une des deux chambres. Une commission serait alors créée, avec pour mission d’étudier les implications de la loi, en auditionnant industriels et associations, et de rendre un rapport sur le sujet. S’il était enfin amendé et voté par l’une puis l’autre des chambres législatives américaines, le texte devrait enfin être approuvé par le Président des Etats-Unis, George Bush.
Katherine Albrecht admet que la seconde partie de la loi, qui restreint la collecte d’informations par les entreprises, pourrait être plus difficile à faire adopter que la première, qui exige que les consommateurs soient informés. "La nécessité d’un étiquetage est une évidence..." avance-t-elle.
La vie privée, un enjeu électoral ?
Selon Katherine Albrecht, tout ce processus législatif pourrait durer environ un an, à partir du moment où la proposition de loi aura trouvé ses "sponsors" parlementaires.
Caspian n’a pas encore établi de contact avec des parlementaires, mais a demandé à ses milliers de membres, répartis dans les 51 états américains, de démarcher leurs représentants locaux. "Nous sommes confiants dans le fait de trouver rapidement des sponsors."
Caspian demande depuis longtemps un moratoire sur les étiquettes intelligentes. En vain. Politiquement plus pragmatique, la stratégie visant à faire adopter une loi de régulation de cette technologie n’est pas forcément plus aisée. Pour arriver à ses fins, Katherine Albrecht compte sur l’évolution du contexte politique : "Les élections de 2004 approchent. Et nous pensons que la question de la vie privée peut devenir un enjeu important de la campagne, affirme-t-elle. Ce sera à qui s’en empare le premier..."